Entre le cinéma français et les affaires criminelles sentant bon le terroir, c'est un peu une histoire d'amour qui s'éterniserait jusqu'à plus soif, en gros jusqu'à la rupture, le divorce et la garde alternée des moutards. Scénariste entre autre du Petit Lieutenant, le cinéaste Cédric Anger, pour son troisième long-métrage, s'inspire à la fois de l'affaire Alain Lamare et du roman qu'en a tiré Yvan Stefanovitch, Un assassin au-dessus de tout soupçon.
Collant aux basques de son gendarme assassin du début à la fin, Cédric Anger brosse le portrait clinique d'un tueur impénétrable et glacial, insoupçonnable avec son képi et sa gueule de gendre idéal, à qui l'on confierait sans sourciller notre fille unique et la dot qui va avec. Si quelques pistes sont évoquées quant aux motivations de l'assassin, le cinéaste se garde bien d'apporter une réponse à des questions qui resteront sûrement à jamais en suspens.
Plus que de savoir le pourquoi de tels actes aussi abominables et gratuits, c'est surtout de comprendre comment un tel personnage a pu sévir aussi longtemps sans se faire prendre qui donne tout son intérêt à La prochaine fois je viserai le coeur. Comment un représentant de l'ordre, enquêtant sur ses propres exactions, a-t-il pu aussi bien berner son monde, tuer aussi froidement au nez et à la barbe de ses collègues. L'occasion également pour le cinéaste de mettre en lumière la rivalité qui opposait alors les différents corps de métiers, notamment entre la police et la gendarmerie, chacune des deux unités tentant de s'octroyer la plus grosse part d'éloges.
Soignant sa reconstitution de la fin des années 70, d'une France affreusement terne aux idées courtes, tout comme sa mise en images, bénéficiant au passage d'une superbe photographie, Cédric Anger donne également à son film des allures de conte, la froideur ambiante étant plus d'une fois confrontée à un onirisme étonnant. En témoigne cette superbe séquence nocturne en forêt, nous laissant témoin de toute sa beauté sauvage et virginale, étrange échappée poétique au coeur d'un film extrêmement pesant et inconfortable.
De tous les plans, Guillaume Canet prouve à ses détracteurs qu'il peut être un grand comédien entre de bonnes mains et en impose véritablement dans un rôle complexe et casse-gueule. Glaçant, constamment au bord de la rupture, le bonhomme est juste épatant, à l'image d'un long-métrage que je n'attendais plus au milieu d'une production francophone peu emballante. La preuve qu'il est encore possible de faire un excellent polar chez nous, à condition d'avoir une vision et les moyens (ainsi que le talent) de la mettre en oeuvre.