Solide portrait d'un tueur en série dans l'Oise des années 70, La Prochaine fois je viserai le coeur risque de payer plus cher qu'il ne le mérite le prix de ses maladresses.
L'inconvénient des films sobres, c'est que leurs fautes se remarquent deux fois plus. Dans le cas de La Prochaine fois je viserai le coeur, on compte une poignée de dialogues qui sonnent faux à vouloir jouer la surprise (la relation entre le tueur et son seul contact féminin, qu'il rabroue de façon trop appuyée), d'autres qui tombent carrément à plat (quelques vannes entre collègues qui distinguent un peu plus le renfermement de Canet), et surtout, une musique envahissante dont les cordes, si elles subliment parfois les décors naturels, dévorent aussi de l'intérieur l'atmosphère du long-métrage.
Gendarme parmi les plus appréciés de sa section, le tueur de La Prochaine fois je viserai le coeur est bien un être à deux visages, monstre dont les diverses lettres qu'il envoie aux forces de l'ordre ne donnent finalement aucune clé quant à ses motivations. N'abusant d'aucune des femmes qu'il assassine, il les jette au bord de la route comme autant de cadavres anonymes. Pas loin de citer Lucio Fulci lorsqu'il s'abandonne à l'image de vers grouillants, Cédric Anger réserve pourtant à son personnage un traitement sans excès, à l'exception de séquences d'automutilation inutiles. Mais l'approche esthétique globale, pétrie de réalisme, fuit pourtant le style documentaire pour embrasser des ambiances blafardes.
De style, le film n'en manque pas, loin s'en faut. Si l'ouverture passe doucement du point de vue des proies à celui du chasseur, Anger ne quittera plus le monstre durant le reste de la projection. N'éludant pas la brutalité des meurtres, il prend soin de s'éloigner d'autres genres qui lui tendent les bras, l'horreur en premier lieu. Témoin ce meurtre capté à distance depuis l'arrière du véhicule en marche, la caméra ne regardant que brièvement sur le bas-côté avant de reprendre sa course. Enchaînant des lieux toujours plus délaissés, le film tout entier baigne dans un climat qui colle parfaitement à cette histoire de tueur chargé d'enquêter sur lui-même.
Et c'est là que Guillaume Canet, choix déconcertant, risque de marquer les esprits. S'il est toujours difficile de faire abstraction d'un visage connu au profit d'une performance hors des sentiers battus, la présence de l'auteur de Mon idole n'est pas seulement un tremplin économique. Au contraire, le comédien fait son boulot avec toute l'implication nécessaire, ne cherchant pas à tout prix la transformation physique mais oubliant tout du long les sourires chaleureux qui auraient pu humaniser son personnage, le rendre moins distant. Choix judicieux, La Prochaine fois je viserai le coeur y gagnant un peu plus en rigueur.
Déjà à l'écriture du Petit lieutenant de Xavier Beauvois en 2004, Cédric Anger garde le cap de la chronique réaliste. "J'aimais trop la rue, les bars, la nuit...", déclarait plus ou moins le personnage interprété par Isabelle Huppert dans Le Petit lieutenant. Plongé dans une Oise éternellement blême, La Prochaine fois je viserai le coeur n'a rien d'un mauvais lendemain de fête. Sans autre saveur que des liens sociaux forcés, son "héros" rumine, rédige puis matérialise une haine irrépressible. Et le carton final, donnant une brève information sur le sort judiciaire de l'intéressé, risque bien de tomber comme une nouvelle douche froide après deux heures en compagnie d'un homme aussi organisé dans ses agissements...
Reste à faire la part des choses pour que les erreurs visibles du film n'occultent pas ses qualités, La Prochaine fois je viserai le coeur étant une proposition de cinéma nettement plus tenue que celle faite par La Chambre des morts voilà sept ans, autre tentative d'enquête criminelle dans le nord du pays.