Portrait d'un tueur en série dans la France profonde.

La prochaine fois je viserais le cœur est la chronique d’un fait divers aussi glaçant que hors du commun d’un gendarme étant aussi un tueur en série au sang froid qui utilise sa fonction de gendarme pour masquer ses crimes. S’en prenant uniquement aux femmes, le tueur joue avec la police en lui envoyant des lettres anonymes. Le film de Cédric Anger nous place dans la tête du tueur incarné par un Guillaume Canet méconnaissable en tueur froid imperméable.

Les films de tueurs en séries français se comptent sur les doigts de la main, ceux nous plaçant dans la tête du tueur sont encore plus rare. Il faut bien l’admettre en France on a du mal à accuser le coup, qu’on puisse avoir nous aussi nos tueurs en séries. Durant des années on admettait la présence de Landru en oubliant volontiers les autres, tous les autres, relatant ces cas « isolés » comme de simples faits divers. Peut-être est-ce aussi de la pudeur. Pourtant il y a le très bon Garde à vue opposant un Michel Serrault accusé de crime pédophile face à un sévère Lino Ventura, Peur sur la ville mettant en scène un commissaire incarné par Belmondo face à un manique harcelant ses victimes par téléphone. Genre malheureux du cinéma français, le film de tueur en série dans la veine d’un Henry Portrait d’un tueur ou bien Angst a enfin droit à son entrée au panthéon du genre avec La prochaine fois je viserais le cœur.

Plongée dans un univers froid, celui de la banlieue parisienne morne et grise, ressemblant à la campagne profonde, les pieds dans la boue, la forêt aux arbres morts, la nuit orangée des lampadaires, les blagues douteuses des collègues gendarme, le ridicule parfois honneur de l’uniforme, la peur qui gangrène la société, et au milieu de cet univers gris, un personnage sans expression sans émotion, qui traverse la ville tel un prédateur, l’œil visé sur les jupes des filles, attendant la proie facile, guettant l’instant, tentant de noyer son désespoir, se punissant, pourquoi, lui-même l’ignore, haïssant les autres, le monde, l’humanité et lui avant toute chose, tentant vainement de redorer son blason, d’aborder fièrement l’uniforme, la seule chose qui puisse encore le sauver de lui-même, suppliant ses collègues de l’arrêté, les mettant au défi de le tuer, ce tueur fou, ce tueur monstrueux, fondant en larme quand il doit tuer, essayant d’aimer, de vivre normalement, de souscrire à la banalité morne de la vie qui le mord, le griffe, insupportable vie qu’il ne parvient à tenir.

Le tueur est un homme insensible et froid, du moins est-ce ainsi qu’il se voit, en guerrier tel qu’il l’annonce à la gendarmerie à qui il adresse ses lettres, telle une réponse à retardement puisqu’il en fait lui-même parti. Faible et fragile, sensible, nerveux, il est un amas de douleur et de souffrance misérable, sa haine pour lui-même le pousse à repousser la femme qui l’aime, à forcer son petit frère en admiration devant lui à fourrer ses chaussures de caillou, il se flagelle, il lit l’humiliation dans chaque rire, il se voit monstre dans le miroir et sa haine contre lui-même se déverse sur le monde entier. Dégueuli qu’il déverse comme une abomination ressentie.

Pour nous faire rentrer dans la tête d’un tel tueur, nous faire ressentir son dégoût aussi bien pour le monde, les vers qu’il voit partout, la saleté qui envahi tout le temps le monde, l’odeur pestilentielle qu’il sent, ça pue dit-il en entrant chez celle qui l’aime, mais aussi sa haine pour lui-même, les gros plans sur la chair de son dos rougie par l’eau bouillante qu’il y verse, le visage comprimé par la douleur alors qu’il se plonge dans un bain de glace, le sang coulant le long de son bras enlacé profondément par du barbelé, il y a une simplicité de mise en scène, quelques idées par ci par là, les gros plans sur des lèvres pincées, des plans sans profondeur de champs où le tueur semble encore plus seul. L’immersion est complète, et la musique s’intègre à cela. On découvre le tueur au fur et à mesure, au début c’est juste une ombre jusqu’à ce qu’il mette son uniforme, celui qui lui permet de tenir, celui qui lui donne un visage, qui le définit.

Personnage plein de contradiction, le tueur fou cherche à être traqué et pourtant il redoute l’issue de la traque, il se déclare guerrier, prêt à survivre, et son petit sourire content de lui quand il est à sa fenêtre observant son collègue qui a parfaitement suivit ses consignes, s’est laissé manipuler, un idiot faible tel est la vision qu’il en a, la vision qu’il a du monde, des autres, et parfois c’est eux qui l’écrasent, comme le déjeuner familial où il subit les moqueries de ses parents les dent serrées incapables d’ouvrir la bouche pour se défendre. Tuer est l’unique moyen de se libérer mais cela engendre de la souffrance, la fille qu’il a prit en stop déclenche des sentiments, des sanglots, des visions hallucinatoires, un besoin de cracher, de vomir.

Mais le plus intéressant est sans doute la suite, quand le tueur est découvert. Cette longue séquence sur le face à face avec ses collègues, quand il est menotté, attaché et que même s’il nie plus personne ne le croit. Le mélange d’incompréhension, de tristesse et de colère dans les visages alignés de ses collègues qui le fixent sans rien dire, incapables de dire leur déception tout haut. Et le moment où, lorsqu’ils visitent son appartement, sur le palier quand le chef comprend qu’il a une arme et la lui saisit, qu’il lui demande s’il comptait le tuer et que le tueur lui répond qu’il lui aurait collé deux balles dans la tête, instant profondément choquant, le regard du chef sans haine, juste plein d’incompréhension, incapable d’encaisser cela. Le film se finit trop tôt, on aurait envie d’avoir eu la réaction des autres, de Sophie, la femme amoureuse et aimante, bafouée, humiliée mais l’aimant encore et toujours en dépit de son comportement abominable avec elle, d’avoir aussi les réactions des parents. Une séquence dédiée au procès manque en conclusion.

Malgré ce manque, La prochaine fois je viserais le cœur est diablement bon. Efficace, froid, pénétrant, glaçant, il rempli parfaitement sa mission. On ne peut que repenser à d’autres films de tueur, à Henry, portrait d’un tueur en série par exemple, sa tentative d’amour se retrouve dans celui-ci, ou bien à Maniac, ici comme dans Henry, on ne sait pas pourquoi il tue, ce qui a pu provoquer ça ne nous ai pas dit, cela vaut sans doute mieux, cela le rend d’autant plus mystérieux. Le seul indice donné serait son homosexualité refoulée, mais l’indice ne suffit pas, il n’explique qu’en partie son comportement auto destructeur. Quoi qu’il en soit, La prochaine je viserais le cœur est un bon film, froid, glacé, ne cherchant pas à provoquer les larmes ou la pitié, il vise juste, frappe au bon moment, terriblement efficace Cédric Anger prouve la valeur d’une mise en scène presque effacée. Juste dans son ton, dans l’ambiance spectrale et brumeuse donnée à une France profonde dépeinte avec la justesse d’un Simenon où l’on retrouve l’atmosphère du film noir à la française malheureusement disparue (si l’on excepte quelques rares exceptions comme le très bon Mange tes morts tu ne diras point).
Sophia
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le 1 déc. 2014

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