Qui est le plus faible ? Quelle est sa raison ? Parce que le film de Lucas Belvaux ne répond pas à ces questions, parce qu'il ne se finit pas vraiment, il est réussi. Avec cette paire de laissés pour compte décidant de monter un casse pour offrir une mobylette à l'un des leurs, et peut-être aussi par ennui, on pense pourtant plus au "Couperet" de Costa-Gavras qu'à un documentaire de la RTBF sur la crise en Wallonie, en dépit du décor de friche industrielle, de la galerie de portraits d'esquintés à divers titres, de l'omniprésent arrière-plan de pauvreté et de chômage, "la Raison du plus faible" n'est pas qu'un film social. La scène de la nuit passée dans la villa illustre les contrastes créés par la guerre économique totale ; fragmentée et elliptique, elle illustre surtout le choix, qui donne tout son sel au film, d'éviter la lourdeur démonstrative dans lequel d'autres réalisateurs, résolument ou non, auraient pu verser.
Ce n'est jamais facile de courir plusieurs lièvres, d'entrelacer des thèmes disparates : délitement de l'économie gagnant la société et la famille, rédemption difficile, dilemmes silencieux, difficulté de préserver l'enfance, amitié entre prolétaires en train de devenir fantômes, amour entre un père et son fils, amour menacé entre un homme et sa femme, dignité en danger d'un homme qui se sent humilié… Si des vers de Villon sont un fil rouge, c'est une structure de thriller qui donne son liant à ce hachis à la belge a priori guère digeste. Mais thriller lent mis progressivement en place, pour un braquage tout sauf clinquant, car ce n'est ni "Ocean's Fourteen", ni la troisième partie de "Mesrine". Pas d'effets de manche stupides, de divagations, d'incongruités, de "trop beau pour être vrai", de numéro d'acteurs à vide, — les comédiens sont très bons, et à l'unisson, — mais un sens du rythme et du montage. Du cru, juste assez stylisé pour donner un très bon film.
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