L'autobiographie cinématographique de Tavernier m'a convaincu de regarder ce film, dans lequel Renoir dirige avec virtuosité des scènes de groupe en plan-séquence, un spectacle précieux comme ses personnages décadents, soucieux seulement de maintenir les apparences en toutes circonstances et d'"éviter d'en faire un drame".
Je crois voir un film sur le faste des années folles, les frasques de l'aristocratie internationale qui vit dans un régime d'abondance où la jalousie est superflue, et où la pire menace est l'ennui...
Un monde sans conflit, où les pauvres n'aspirent qu'à devenir les serviteurs des riches ; un monde qui se veut sans barrières, mais qui doit quand même régler le problème de ces lapins qui pénètrent sur nos terres... Un monde civilisé, où l'on sait composer avec l'inconstance des sentiments, et où les émotions doivent se tenir à distance raisonnable entre l'ennui et la folie... Où l'on sait mettre les cadavres dans les placards afin de maintenir le statu quo ; où l'on comprend que chacun a ses raisons, à condition que ça serve son intérêt... Où les lointains héritiers des seigneurs de la guerre laissent imaginer aux héros qu'ils peuvent prendre leur place (ici, dans le lit de leur femme), mais laissent aux basses classes la sale besogne d'éliminer la compétition (car le mari volage doit rester un mari, le patrimoine être transmis et l'ordre maintenu). Où un "Schumacher" commet un meurtre sur lequel on ferme les yeux pour préserver notre quiétude...
Difficile de ne pas penser à la situation de l'Europe de l'époque, et de la France prête à toutes les compromissions pour préserver SA paix . Mais ça vaut sûrement aussi pour d'autres époques.
Je ne connais rien au vaudeville. J'aime bien les films de Guitry, ça compte?
Pourtant j'ai l'impression de voir une comédie du remariage pervertie, dont le dénouement tragique résulte moins d'un quiproquo pas rigolo, que d'un programme des cérémonies. Sommes-nous les témoins du weekend orgiaque d'une élite en sa tour d'ivoire, valsant au bord du précipice et aveugle à la crise qui se prépare (le spectacle de danse macabre, allusion au banquet du Masque de la Mort Rouge?), ou d'un meurtre propitiatoire ?
Le metteur en scène acteur n'est-il pas l'involontaire instigateur d'une messe noire ?
Ach!
Et lorsque le maître de cérémonie déclare à la grande satisfaction de l'assemblée, que le crime sera enterré, le masque tombe-t-il pour révéler les sourcils méphistophéliques du meneur de jeu ?
La crise est évitée, le scandale étouffé, le diablotin rentre dans sa boîte avec ses automates, qui regagnent le château en une procession d'ombres.
Fin de party pour les fins de race.
Rendez-vous au Rotary !
(je retourne voir secret story)
NB : titres non utilisés - La Guerre du feu, Jeu de massacre, Partie de chiasse, La vie en renoi, Party fine (pour petits joueurs), No more heroes anymore...
notes sur ce qui laisse supposer la nature méphistophélique du marquis :
- le goût de l'hôte pour les automates semble indiquer son talent pour la manipulation, voire des qualités surnaturelles de séducteur et de trompeur - d'ailleurs, voit-on jamais les visages des personnages déguisés en squelettes? Et s'ils n'étaient que des automates eux aussi ? Et ainsi du reste des invités plongés dans la torpeur pendant le spectacle
- la camériste a un rôle actif - même si indirect la seconde fois - dans les deux substitutions de vêtements qui provoquent le quiproquo final, et son intérêt rejoint celui du marquis, qui réapparaît dans le champ à l'instant même où l'aviateur est parti vers son destin