Marivaux dans les 200 familles
Une partie de chasse dans un grand domaine, et des intrigues amoureuses qui se croisent, avec un parallèle entre maîtres et domestiques, une critique larvée des conventions mondaines, mais aussi du jeu de dupe des sentiments. Oui, malgré la citation de Beaumarchais en exergue, c'était plutôt à Marivaux que je pensais. Intéressant, le carton du début qui dément que le film soit une étude de moeurs, et réclame être un pur divertissement.
L'hôte, c'est Robert de la Cheynest (Dalio), un riche généreux, mondain et inconséquent, lassé de sa maîtresse, et qui aimerait retrouver son épouse, Christine, d'origine bavaroise. Parmi les invités, le sémillant Octave (Renoir himself), acteur raté mais adorable parasite ; André Jurieux, pilote célèbre fou amoureux de Christine ; Geneviève, la maîtresse divers invités, genre vieilles rombières, vieux général ganache et jeune homo agaçant.
Et puis il y a bien sûr le côté cuisine : Lisette, la camériste, plus attachée à sa maîtresse qu'aux hommes, à commencer par son garde-chasse de mari, Shumacher ; Marceau, un braconnier qui arrive à se faire engager comme valet, drague lisette, ce qui crée un drame (Carette, un des acteurs fétiches de Renoir). Et d'autres figures mineures de domestiques.
La photographie est belle, tout comme les prises de vue de la battue, qui magnifient la nature et font paraître comme dérisoires et privées de vie les réjouissances au manoir. Au passage, ce décor de manoir m'a aussi rappelé celui de "Monsieur", avec Gabin. Un sous-genre français ? Beaucoup de décors sont magnifiquement exploités, du perron en pierre désert éclairé du clair de lune à la serre en clair-obscur, en passant par tous ces étranges objets mécaniques qui semblent fasciner Dalio. L'espace des couloirs, des cuisines est souvent utilisé de manière dynamique, avec des scènes de poursuite pour rire, et d'autres beaucoup moins drôles. La scène où le garde-chasse poursuit Marceau en tirant au révolver est emblématique du ton : on commence sur le ton de la farce, et peu à peu, on glisse vers le drame, après avoir constaté la déchirure que cela crée dans le tissu des conventions mondaines.
Au niveau des acteurs, si Geneviève est plus horripilante que ne le demande son rôle, et si Christine n'a rien d'un sex symbol alors que tous les mâles sont chamboulés par ses charmes, la plupart s'en tirent bien et il y a une forme d'ambiance décontractée dans ce film, hanté par la silhouette de gros nounours de Renoir.
Car oui, si vous avez jamais rêvé de voir Jean Renoir déguisé en ours, c'est définitivement un film à voir.