Love is best serve on a frozen plate
Il est deux heures du mat. Je me lève demain à 8h pour bosser et pourtant je suis là à taper fébrilement sur mon clavier. Tout ça pour rédiger une critique à chaud(-froid) de Frozen ou, dans la langue de Molière, La Reine des Neiges, dernière production de Disney Animation que je viens juste de regarder. Pourquoi ce tremblement fébrile ? Parce que ce film, en deux petites heures seulement, m'a refait éprouver l'émerveillement des Disney de mon prime jeunesse. Explications !
" Princesses never bothered me anyway... "
Disney a bien des défauts, notamment l'ambition de faire des films de super-héros, de pirates et des combats de sabre-laser aussi réussis que des dessins animés avec des histoires de princesses... Ces fichues histoires de princesses que filles et garçons de la génération 1990 ont vu, revu et re-revu depuis leur enfance... Ces foutues histoires qui n'ont plus aucun secret pour nous, car nous les connaissons bien et elles ne peuvent plus nous surprendre... Et pourtant, à chaque nouveau film Disney, pris en défaut, on se dit : " Cette fois ça y est ! Ils sont arrivés au bout ! Ils sont forcés d'innover, de ranger leurs princesses dans les placards ! " Et à chaque nouveau film, le bonheur de la découverte reste intact et on se surprend à se réjouir de s'être trompé, une fois de plus. Frozen incarne tout entier cette faculté presque insolente des Disney à toujours nous surprendre et nous émerveiller quand on se croyait blasé, " trop vieux pour ces conneries de princesses ", en un mot... des vieux cons avant l'heure. Le film de princesse est bien vivant et il fait souffler un petit vent frais qui sent bon la poudreuse et le renouveau.
Do you want to watch this movie ? I want you you tell me whyyyyyy !
Résumons rapidement l'intrigue. Elsa et Anna sont respectivement la reine et la princesse du royaume d'Arendelle, restées seules héritières du trône après le naufrage du navire de leurs parents. Enfermées dans leur château, toutes deux vivent presque sans se voir après une époque où elles étaient inséparables. La raison de cette solitude imposée par la jeune reine ? Son secret : une malédiction de naissance : un pouvoir toujours grandissant qu'elle peine à contenir, celui de générer le froid sous toutes ses formes, de la plus merveilleuse sculpture de glace à la plus terrible des tempêtes de neige, pouvoir qui a bien failli coûter la vie à Anna. Elsa tente donc tant bien que mal de cacher son pouvoir à tous, y compris à sa sœur, de peur de blesser ceux qui l'entourent sans le vouloir. Mais, à la faveur de l'exceptionnelle réception mondaine donnée pour son couronnement, son secret finit par être éventé. Aussi, pour protéger les autres - et surtout sa sœur - d'elle-même, Elsa choisit-elle de s'exiler... déclenchant sans le savoir un hiver glacial au beau milieu de l'été ! Sa jeune sœur, se sentant responsable, décide d'aller la ramener pour remettre les choses en ordre, bientôt aidée par Kristoff et Hans, l'un récolteur de glace et l'autre prince (charmant et ROUX !) mais aussi par les deux sidekicks incontournables : Sven, le renne apprivoisé de Kristoff et Olaf (aka le gentil bonhomme de neige vivant involontairement créé par Elsa).
" Some movies are worth melting for ! "
Histoire d'y voir plus clair dans ce blizzard vivifiant qu'est Frozen, prenons les choses dans l'ordre grâce à notre check-list du bon film Disney !
- Des graphismes enchanteurs ? Check !
On a souvent comparé Pixar et Disney en soulignant la supériorité du premier, sur le plan technique notamment. Et bien il s'avère que le second commence à rattraper son retard avec brio. Frozen est tout simplement une merveille pour les yeux. Les décors sont magnifiques et la direction artistique époustouflante, déclinant pour le plaisir des yeux les thèmes de la glace et de la neige en de merveilleuses constructions et sculptures, oscillant entre couleurs bleutées scintillantes et blancheur enchanteresse (oui ça fait beaucoup d'adjectifs mélioratifs, ne vous en déplaise, ils sont amplement mérités) sans même parler des majestueux paysages glacés ou neigeux (mention spéciale pour le " cimetière " des navires final). Le design " made in Raiponce " des personnages fonctionne toujours aussi bien (on notera d'ailleurs la présence du couple de héros du film dans Frozen !) en réinventant avec efficacité le principe des grands yeux de Bambi (et oui, tout vient de ce *** de faon) sans (trop) plagier Pixar.
- Des chansons qui vous rentrent dans la tête ? Check and double-check !
Frozen regorge littéralement de passages chantés, de qualité et d'intérêt inégaux certes (on s'interrogera par exemple sur l'espèce de chœur du début en mode Roi lion, sur la chanson des trolls ainsi que sur le reprise de " ). Pour autant, certains sont une franche réussite avec en premier lieu " Do you want to build a snowman " (chanson d'exposition traditionnelle mais de qualité), " Love is an open door " et enfin " Let it go " (pure merveille sur un ton épique, avec un texte d'une profondeur étonnante sur lequel je reviendrai en détail plus loin).
- L'humour et les dialogues ? Check !
Fort bien écrits, les dialogues sont étonnants par leur crédibilité (VO incontournable cependant, n'essayez même pas de regarder la version française !). Les traits d'humour font toujours mouche et sont parfois proprement hilarants, capables de générer ce rire à deux niveaux, rire d'enfant et rire de (jeune) adulte, que seuls les grands films d'animation savent créer. Notons qu'ils ne sont pas seulement l'apanage des sidekicks mais aussi des personnages principaux, sans leur enlever en gravité.
- Personnages attachants ? Check !
Le quatuor des personnages principaux Elsa/Anna/Kristoff/Hans sont tous convaincants et ne paraissent archétypaux que pour mieux démonter leurs archétypes respectifs. Elsa, quoique bien névrosée par son pouvoir et par une éducation des plus... discutables n'en est pas pour autant horripilante.
Anna est tout particulièrement attachante du fait de sa candeur de jeune fille enfermée dans son château, associée à sa force de caractère, son humour impertinent et l'amour indéfectible qu'elle porte à sa sœur.
Pour ce qui est des deux jeunes premiers, je ne spoilerai rien... (gnyahaha !).
Tous les personnages secondaires (Olaf, Sven, le tenancier du sauna au délicat accent norvégien, le marchand avide, etc.) ont tous leur personnalité et apportent leur grain de sel à l'humour savoureux du film. On notera la ressemblance avec le film Raiponce au niveau des personnages, sans pour autant y voir un bête copié-collé.
- Une histoire d'amour et un " True love kiss " à l'ancienne ? Check ! Mais pas que...
Disney sait décidément faire du neuf avec du vieux, ici en reprenant les lieux communs scénaristiques qui ont fait son succès pour mieux les (dé)tourner en dérision. On nous ressert la bonne vieille histoire de princesse !... avec deux princesses ! et une histoire d'amour... mais pas celle qu'on attend ! De même pour l'intrigue en général, tout manichéisme des personnages est adroitement évité et le spectateur est pris à contre pied sans s'y attendre une seule seconde (même en connaissant l'intrigue avant de voir le film je me suis fait surprendre, mais je suis peut-être trop bon public pour les films d'animation). Bien mieux, la traditionnelle histoire d'amour, le coup de foudre des contes de fées (habilement tourné en dérision) trouve sa place aux côtés de sujets plus sombres, subtilement évoqués (les manipulations politiques, les excès de l'amour surprotecteur, même entre membre d'une même famille).
- Féminisme subtil et mature ? Check !... Wait... What ?
C'est pour moi la principal qualité du film (et je l'affirme en tant que membre de la gent masculine). Frozen nous offre la preuve, s'il en fallait une, que le film d'animation est capable de faire passer des messages essentiels à son public premier : les enfants. Bien loin de leur resservir une vieille soupe conformiste et bien codifiée, de les prendre pour des veaux stupides avec lesquels il ne faut surtout pas prendre le risque de brusquer par un propos tant soit peu subversif et profond, Frozen fait le pari agréablement inattendu de leur faire passer un message féministe au bon sens du terme, ni outrancier ni racoleur mais tout en finesse et en nuances. Ce message est incarné par le duo sororal d'Elsa et Anna, deux métaphores des différents aspects de la féminité, métaphores discrètes mais radieuses que je vais tenter d'expliquer avec mes gros sabots. Je dirais presque déflorer si le bon goût ne me l'interdisait pas formellement (quoique le terme serait juste car je vous enlèverai sans doute, ce faisant, le plaisir de la découverte dénuée d'a priori).
Your princess is in another castle, making snowmen on her own...
Elsa, exact inverse d'une Nora Freeze, passive dans son caisson cryogénique, incarne assez directement un questionnement du statut de la femme libérée. Enfant puis jeune adulte, elle est d'abord contrainte par ses parents de ne pas laisser sortir ses pouvoirs et ses émotions, de la cacher sous ses gants (avec toute la symbolique d'une femme qui se voile), d'être " la gentille fille parfaite qu'elle doit être ". Par la suite, elle découvre dans sa fuite, certes motivée par une peur dont elle ne se libérera pas avant la fin du film, la liberté et l'indépendance. Mais, plus important, elle ne refuse pas le pendant de cette liberté, c'est-à-dire la solitude. De la sorte, elle incarne la femme - créatrice de surcroît - qui veut vivre sa vie comme elle l'entends, ose dépasser ses limites et celles que lui fixent les autres et enfin celle qui ose ainsi se libérer de cette peur - plus insidieuse que celle de blesser ses êtres chers - celle de faillir à l'image que les autres nous imposent de leur renvoyer. Elsa devient libre dans sa solitude et heureuse de l'être, prenant à contre pied ce vieux stéréotype machiste selon lequel une femme seule est forcément malheureuse et... en demande d'un homme. Pour un peu on en viendrait presque à y voir une image de la libération sexuelle de la femme, cette femme libre qui vit pleinement ses passions, vue comme un " monstre ", une " sorcière " (autant de surnoms qu'on pouvait entendre dans le passé pour les femmes libérées) mais je suis sans doute profondément tordu)...
Et c'est là que l'image prend toute sa virtuosité, puisque le pouvoir d'Elsa est bien celui... du froid, ce qui pose évidemment la question de la frigidité de la femme seule, autre image d’Épinal machiste (si une femme célibataire refuse de répondre aux avances d'un homme, c'est forcément qu'elle est frigide/homosexuelle/etc.). C'est lors de sa chanson emblématique Let it go qu'Elsa évolue radicalement, sort de sa chrysalide de glace et acquière soudain l'élégance sensuelle et le charme d'une femme qui s'assume comme telle et se fiche de " ce que les autres pourront dire " d'elle. En 4 minutes de chanson inoubliable, la transformation s'opère : elle n'est plus cette jeune fille bridée mais une jeune femme épanouie malgré les peurs qui la rongent toujours. Vous noterez son changement de coiffure, son soudain déhanché et sa robe de glace qui la met bien plus en valeur que sa cape qui la recouvrait jusque là. Plus largement, c'est un personnage qui pète la classe !
Bien loin d'incarner une nouvelle poupée Barbie/Beyoncé, elle est justement cette femme heureuse d'être seule et libre, sans être pour autant frigide et surtout sans être " dérangée par le froid " (de son lit ?). Notons que la traduction française pèche particulièrement ici puisqu'elle traduit " Cold never bothered me anyway " par " Le froid est le prix de ma liberté ", comme si une femme libre devait intrinsèquement être seule, alors que c'est bien par choix que Elsa s'isole. Vous allez penser que je surrinterprête et vous aurez sans doute raison. Ce n'est pas comme si Disney était célèbre pour insérer du symbolisme sexuel dans ses histoires ou que les contes de fées en étaient dépourvus...
Sans aller plus avant dans l'herméneutique féministe (qu'on pourrait d'ailleurs étendre aux autres films Disney depuis La Petite Sirène, selon moi), un simple constat : une princesse qui n'a pas besoin d'un homme pour la sauver (ou d'un homme tout court) dans un Disney, impossible me direz-vous ? Mais Disney nous rappelle justement que dans les contes de fées, rien n'est impossible, même ce qui semblerait impensable (aka le féminisme intelligent).
Anna porte également ce message féministe. Digne héritière de Raiponce, elle est certes naïve par certains aspects mais forte et volontaire. Elle est la preuve que l'univers Disney a muri : quelle réponse reçoit-elle quand elle émet le vœu de se marier avec un homme qu'elle vient à peine de rencontrer ? Duh ! No f*****ing way ! La chose est d'autant plus savoureuse qu'en plus d'Elsa, Kristoff, un personnage masculin, souligne lui aussi l'absurdité de cette idée !
Pour autant, si Anna croit au coup de foudre par enthousiasme candide de l'adolescente qui vit son premier amour, sa volonté de se marier est aussi une façon de d'obtenir sa liberté, de sortir du carcan de solitude que ses parents puis sa sœur ont instauré autour d'elle. Se marier n'est pas pour elle une soumission mais une envie de découverte, de vivre la première et la plus importante des aventures de la vie : celle de l'amour.
Plus important, c'est elle, la princesse, et non le prince Hans qui part chercher Elsa dans son château, retournant ainsi habilement le trope de la demoiselle en détresse qui affligeait la Belle au Bois dormant ! Ainsi, elle rappelle que les femmes aussi peuvent être héroïques, peuvent s'aider entre elles et que l'amour familial est tout aussi important que son équivalent sensuel (ce que l'on trouve dans bien peu de Disney). C'est enfin elle, la princesse naïve, qui réussit à montrer à sa sœur que l'amour en général est bien " une porte ouverte " pour l'autre, et non une prison qui isole l'être aimé. Sans spoiler davantage, disons que l'amour d'une sœur vaut bien le bon vieux " true love kiss "... Je m'attarderais volontiers sur les personnages masculins, Hans et Kristoff, cassant eux aussi les stéréotypes, si je ne prenais pas le risque de vous spoiler copieusement.
" Oh Disney... If only there was someone out there who loved you... "
Finalement, on peut affirmer que Frozen incarne l'heureux aboutissement de cette paradoxale et pourtant louable ambition de Disney d'avoir centré une part essentielle de son œuvre cinématographique sur ce personnage féminin archétypal de la faiblesse, de l'être à secourir qu'est la princesse des contes de fées et des récits médiévaux. Même si c'était bien moins le cas dans les premiers films, elle est peu à peu devenue, depuis La Petite Sirène et Mulan, un personnage actif, fort et charismatique (même les méchantes emblématiques des premiers Disney représentent des femmes actives et fortes, quoique pour de mauvaises raisons), incarnation de la féminité dans ses différents aspects et qui tient sans rougir la comparaison avec le prince.
De même, ce dernier, d'incarnation interchangeable et sans personnalité de la force mâle et guerrière, est devenu aux fil des films successifs ce héros un peu maladroit, presque malgré lui, dont le cœur s'égare parfois mais qui retrouve toujours son chemin grâce à l'épreuve de l'humilité et de l'honnêteté (mais qui peut être, dans certains cas, un parfait salaud qui vaut bien certaines méchantes mémorables de Disney !). En un mot, un homme, un vrai... C'est-à-dire un homme bien, un homme (qui devrait être) comme les autres, un homme qui a besoin de sa princesse autant qu'elle a besoin de lui.
Sans faire de Disney ce qu'il n'est pas, soit un précurseur du féminisme (Walt Disney lui-même était très conservateur), il faut reconnaître au studio d'avoir su mis au centre de ses films la jeune fille et la femme en général comme personnage actif et surtout d'avoir su faire évoluer l'image qu'il en donnait à mesure que passaient les années, de montrer que la jeune fille de contes de fées, cette princesse toujours à secourir qu'est par exemple Peach dans les SuperMario, peut se débrouiller seule, être à la fois tendre et forte, vulnérable et courageuse, être aimée et rester indépendante, libre de ses choix. En un mot, qu'elle peut être femme.
A cold, cold warmth...
Pour résumer, Frozen, déjà classique, se présente comme l'aboutissement de l'art de Disney dans le film d'animation, fruit d'une longue maîtrise technique et artistique du dessin animé, un art qui a su évoluer avec son temps, murir, prendre du recul et rire de ses propres réflexes et stéréotypes pour offrir encore aujourd'hui aux enfants (petits et grands) l'émerveillement des grands dessins animés. Outre de nous faire passer un bon moment, à sourire et à rire, le film nous donne une grande leçon de féminisme tout en nuances, servie par une esthétique à couper le souffle, quelques chansons mémorables et un humour de haute volée, le tout enrobé dans ce souffle épique qui porte la plupart des grands films d'animation. Voilà pourquoi, en plus d'un peu de bonheur, ce film m'a fait éprouver un certain optimisme pour l'avenir et surtout celui de son jeune public, en cela qu'il montre que des productions pour enfants ont le courage de faire passer des messages simples mais essentiels que les jeunes filles, comme les jeunes garçons, ont toujours besoin d'entendre.
En espérant que vous fondrez pour cette petite merveille, je m'en vais me coucher le cœur léger !
Réglé quoi !