What ya need is aye bloody Doctor ya know ?
C'est avec True Detective, dévorée en quelques jours, que j'ai découvert le format série de 8 épisodes, autorisant un intermède diablement rafraîchissant entre deux séries de trouzmillions de saisons de quarante douze épisodes chacune. Désireux de renouveler l'expérience, et sur le conseil d'un ami, je me suis donc appliqué à la lourde tâche de mater Broadchurch en VOSTFR, avachi dans le fond de mon lit comme une larve en ces nuits tantôt froides tantôt chaudes d'un printemps qui fleure bon le réchauffement climatique. Bilan d'une (première) saison qui ne sent pas justement pas le réchauffé mais suinte l'humidité lourde des plages britanniques et vous claque le visage comme un vent froid et iodé de la mer du Nord (à lire en écoutant un requiem pour intensifier l'effet dramatique).
Let's recap all of this from the beginning, would ya ?
Broadchurch est un série dramatique d'enquête policière écrite par Chris Chibnall et Louise Fox, produite par Kudos et d'abord diffusée par la chaîne britannique ITV. Le casting annonce d'emblée la couleur, en réunissant une tripotée d'acteurs et d'actrices particulièrement talentueux, parmi lesquels ont notera la présence de figures aussi connues que David Tennant (la 10ème incarnation du Docteur dans Doctor Who), David Bradley (surtout connu pour avoir joué Rusard dans l'adaptation cinématographique de Harry Potter et Walder Frey dans la série Game of thrones) ou encore Arthur Darvill (Rory Williams dans les saisons 5 à 7 de Doctor Who). Nous aurons l'occasion de revenir sur les performances des différents acteurs.
L'action se déroule dans la petite ville côtière de Broadchurch, dans la région de Dorset, au Sud de l'Angleterre. Le quotidien de cette petite bourgade touristique, jusque là paisible et sans histoire, est secouée par la découverte du corps sans vie de Danny Latimer, jeune garçon de 11 ans, étendu sur la plage au bord des falaises à pic qui bordent la côte. La thèse du suicide est rapidement écartée quand il appert que le garçon est mort étranglé. Le détective-inspecteur Alec Hardy (David Tennant), nouvellement arrivé en ville pour se faire oublier après le scandale qui a entouré sa dernière enquête, prend immédiatement la direction de l'affaire, aidé par la provinciale sergent-inspecteur Ellie Miller (Olivia Coleman). Ce duo de policiers que tout oppose, tant l'expérience que le tempérament, s'applique à remonter lentement la piste de plus en plus sombre qui mène à l'assassin de Danny. Alors que l'enquête piétine, la suspicion et la discorde s'insinue au sein de la communauté à mesure que les secrets indésirables des uns et des autres sont tirés des placards.
Haven't we met before, sweety ?
La plus grande qualité de Broadchurch réside indubitablement dans son panel d'acteurs, mais pas forcément ceux auxquels on s'attendrait.
Disons le tout de go, n'allez pas regarder Broadchurch pour retrouver le David Tennant de Doctor Who. Sombre, désabusé et maladif, agressif et suspicieux, Alec Hardy est à des années lumières du 10th Doctor et cela est loin d'être en soi une mauvaise chose. Au contraire, les fans ne pourraient qu'être ravis de voir Tennant à l'œuvre hors de l'univers qui l'a rendu célèbre pour sortir de son ancien rôle phare (qui risque forcément de lui coller à la peau pour un moment)... s'il arrivait à incarner pleinement son personnage. De fait, si sa performance est plus que correcte, le spectateur sera d'autant plus tenté de faire la comparaison avec son rôle de Docteur que Tennant tente de nous la faire oublier en surjouant quelque peu là où il aurait pu donner à son personnage une véritable profondeur par un jeu plus en nuances. Par exemple, l'accent écossais à couper au couteau à pain qu'il tient tout au long de la série est un peu trop appuyé pour ne pas paraître artificiel (d'autant plus pour ceux qui l'ont entendu jouer le Docteur). De par son incongruité, cet accent donne au personnage un côté décalé qui pourrait être plaisant s'il ne jurait pas avec la personnalité perpétuellement grave et tourmentée du personnage, qu'elle accuse bien plus qu'elle ne la nuance. Ce choix est peut-être celui du réalisateur cependant, vu que d'autres personnages ont des accents très prononcés. Par ailleurs, Tennant garde toujours quelques réflexes (discrets mais visibles pour le whovian attentif) de son jeu de Seigneur du Temps, tant et si bien que le personnage d'Alec Hardi, toujours entre deux eaux, peine quelque peu à convaincre le whovian que je suis (même si sa performance reste, dans l'absolu, très correcte). Reste que, par contraste, la qualité des autres acteurs n'en est que plus perceptible.
Outre l'immense David Bradley, Arthur Darvill (Le Révérend Paul Coates) et Olivia Colman (Ellie Miller), deux acteurs ayant joué dans Doctor Who (coïncidence ?), tous les acteurs s'en sortent admirablement bien. Pas un personnage ne sonne faux, là où l'on aurait légitimement pu craindre que leur multiplication ne donne lieu à des inégalités de jeu (on compte une bonne dizaine de " seconds rôles " qui ont tous leur importance au sein de l'intrigue). Mention spéciale pour Pauline Quirke (Susan Wright) et Joe Sims (Nigel Carter), tantôt malsains tantôt pathétiques, aussi dérangeants l'un que l'autre.
And how do we find them ? The good old way : we go out there and we search.
Si vous cherchez une enquête policière survoltée, je vous en prie, passez votre chemin. Piétiner, voilà le verbe emblématique de la série. L'enquête avance à la lenteur d'une tortue cul-de-jatte juchée sur un escargot apathique. Qui plus est, si l'on y prend garde, le rythme des épisodes peut sembler répétitif. Chaque épisode voit l'inspecteur Hardy suspecter tout à tour tel ou tel personne, dont la culpabilité est remise en cause dès lors que le suspect consent à révéler ce qu'il cache (un passé trouble, une liaison extraconjugale, etc.). Et l'enquête de redémarrer en attendant une erreur de l'assassin. Cette structure reste cependant assez discrète et n'est pas limitative, chaque épisode apportant son lot d'informations et d'intrigues secondaires sur différents personnages. C'est justement une autre caractéristique qui pourra déplaire. De fait, la ligne narrative de l'enquête, centrée sur les personnages de Hardy et Miller, est très (trop ?) souvent interrompue pour dévoiler à mots couverts les comportements suspects des différents membres de la communauté hors du regard de la police, préparant ainsi les révélations à venir (parfois 2 ou 3 épisodes plus loin). Or le spectateur a parfois l'étrange impression d'en savoir bien plus que les enquêteurs... et en même temps trop peu pour vraiment faire des suppositions, forcé de lanterner. Pour autant, l'intrigue globale, une fois la vérité révélée, s'avère très bien ficelée et le dénouement totalement inattendu. Il faut prendre son mal en patience et supporter cette ambiance pesante, lourde de sous-entendus parfaitement maîtrisés, où tous les personnages (ou presque) paraissent suspects. La réalisation est de qualité mais on pourra regretter le manque d'originalité de certains plans et leur caractère parfois redondant (les plans sur la plage balayée par les vagues notamment).
Time is more like a big ball of wibbly wobbly... time-y wimey... stuff...
Il faut considérer ce qui vient d'être dit à la lumière de ce qui fait, à mon sens, la principale qualité de la série (certains pourront y voir à l'inverse son plus gros défaut, selon les points de vue). Broadchurch entend nous montrer une enquête qui pourrait se dérouler dans la vie réelle, c'est-à-dire qui peut prendre un temps considérable, faute de preuves trop évidentes et de la coopération des suspects. On est bien loin des experts où une marque de peinture bien spéciale, identifiée en 2 heures (et non pas une, parce ce que Horacio était généreux), suffit à identifier le coupable. Bien mieux, Broadchurch prend à contre pied un état de fait répandu dans la plupart des séries policières actuelles : toutes semblent partir du principe que les suspects cessent de mentir et, surtout, déballent toute la vérité et rien que la vérité, dès lors qu'ils sont pris en défaut. Or ici, rien n'y fait, comme l'affirme Hardy, l'homme est un animal qui ment. Seules les preuves irréfutables et les contradictions flagrantes suffisent à faire avouer les suspects mais la vérité n'est toujours avouée qu'à contre cœur. Est ici étudiée une autre des lâchetés du cœur humain et pire ennemi de celui qui cherche la vérité, le mensonge par omission, avec tous les prétextes que l'on se trouve quand il s'agit d'éluder une vérité dérangeante. Par ailleurs, la difficulté du métier de policier est également dépeinte avec une grande crédibilité : nécessité de déterrer les secrets de ses concitoyens, de soupçonner tout le monde, de ne faire confiance à personne.
Broadchurch est, on l'a dit, une enquête policière dramatique mais la force de la série ne réside pas dans tant dans l'enquête que dans le drame.
There will be blood in the water, and the shark will come
L'intrigue de Broadchurch tient tout son intérêt de son contexte et de son absence de manichéisme. De l'aveu même du scénariste, il s'agit de faire ressentir l'impact de cette tragédie incommensurable qu'est le meurtre d'un enfant, au niveau familial d'abord mais aussi, et surtout, au sein d'une petite communauté a priori tranquille, l'endroit où ce genre d'événement n'aurait jamais pu (ou dû ?) se produire. C'est moins la lente (très lente) avancée de l'enquête que les remous provoqués par cette dernière qui constituent les temps forts de la série. Broadchurch réussit à nous dépeindre un tableau sans concession des mécanismes pervers qui peuvent régir un groupe social en temps de crise, qui plus est quand il est question d'enfants (pédophilie, tralalali). Bien vite, il n'est plus tant question de trouver l'assassin qu'un bouc émissaire. Le premier voisin louche fera bien l'affaire, pourvu qu'il ait un passé trouble. Il s'agit moins de chercher la vérité que de proférer des accusations péremptoires et fallacieuses, relayées par la presse toujours avide d'actualité brûlante, aussitôt prises comme autant de preuves irréfutables et prétextes à déchaîner les frustrations égoïstes de chacun, fussent-elles justifiées ou non (bizarrement ce ne sont pas les victimes qui sont les plus promptes à lyncher les pseudos coupables). Broadchurch nous immerge dans une ambiance délétère où l'on garde le silence, où tout un chacun protège ses petits secrets par honte ou par fierté, ce qui est bien normal... jusqu'à ce que l'irréparable se produise. Cette interrogation sur le comportement irrationnel de l'humain face à des sujets aussi graves que la mort, le deuil, la peur d'admettre la vérité nue se retrouve aussi au niveau de la famille de Danny, confrontée à un perte que l'on peut à peine concevoir. Que sont les témoignages de commisération des uns et des autres face à l'horreur que constitue la perte d'un enfant, cette irrépressible envie de montrer qu'on est désolé comme si cela changeait quoi que ce soit ? Au mieux, des paroles vides de sens tant qu'on a pas vécu une telle perte, au pire une hypocrite sollicitude de façade qui laisse bien vite place à la curiosité morbide et à la pitié ou à l'indifférence, et cela au moment même où l'empathie véritable est désespérément nécessaire. Au sein même de la famille, le souvenir de la victime déchire bien plus qu'il ne réunit. À Broadchurch, il n'y a aucun innocent, mais personne n'est simplement victime ou bourreau, toujours un peu des deux. On savourera ou non l'amertume aigre-douce de cette réflexion sur la transfiguration (ou défiguration) du quotidien secoué par une tragédie inconcevable.
I need to end this case
En fin de compte, Broadchurch vaut avant tout le détour pour ses acteurs et son ambiance anglaise pesante. La série est courte (les 8 épisodes ne font que 45 minutes) et ne demande donc pas un investissement de temps trop conséquent, pourvu que vous ne soyez pas lassé par son rythme un peu lent. À découvrir.
Never trust anyone.
Un dernier bémol : on pourra s'interroger sur la nécessité plus que discutable d'une saison 2, d'ors et déjà annoncée fin 2014, toujours avec David Tennant et Olivia Colman. Cela risque en effet de détruire tout ce sur quoi se basait la série, à savoir un événement affreux et parfaitement anormal que personne n'aurait pu prévoir, une " tragique anomalie " qui secoue les fondements d'une communauté tranquille et fait voir le pire comme le meilleur de l'âme humaine. Affaire à suivre.
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