" C'est du sang. Mais qu'importe ? J'ai le sourire aux lèvres. "

La Reine Margot est un film de Patrice Chéreau. Patrice Chéreau a tout compris. Théâtreux jusqu'aux tripes, Chéreau sait ce qu'est le langage et ce qu'est le corps. Chéreau sait la force de la monstration bien plus que des mots. Il y a peu de dialogues dans La Reine Margot. Il y a des dialogues de tous les jours, des sons de joie, des cris de colère, peu de pleurs de deuil ou de mots sur la mort. La première scène est la plus représentative ; l'acceptation du mariage entre Marguerite de Valois et Henri de Navarre ne passe pas par un simple " Oui ", mais par un cri étouffé par une tête plaquée sur un coussin, après quoi une effusion de musique, de festivités, de complots silencieux et de massacres sanglants la nuit de la Saint-Barthélémy.

Les corps entassés dans les charniers nous sont tant montrés que la violence du film met mal à l'aise, et repose sur un coup de maître. Elle fait respirer la mort à chaque plan où des pas foulent la terre au milieu des corps entassés, sans savoir parfois s'ils sont morts ou vivants. Les charniers, les fosses communes, les corps brûlés donnent au XVI° siècle des échos concentrationnaires, parfois quasiment plaqués sur La Liste de Schindler une année plus tôt, quand on voit le charnier déverser ses corps inertes sur la fosse derrière une musique d'exil propre à Chéreau. Même si à mon sens rien ne dépassera celle de sa Phèdre en 2003, sa musique nous place dans un monde hiératique et terrifiant. Pourtant, ce monde apparemment au-delà du commun des mortels s'y mêle, il n'y a pas de distinction entre le pouvoir et le peuple ; c'était le cas lors de cette époque, et le profond travail d'acteur, évidemment théâtral, nous montre avant tout des hommes et non des rois. Au milieu de toute la masse et du nombre conséquent de personnages à l'écran (rares sont les scènes intimes, sinon celles où le corps est mis en scène dans ce qu'il a de plus sensuel), Chéreau nous fait ressentir la mort et la souffrance de chacun dans la même manière. Rien n'est perdu dans la masse. C'est la la force de la Reine Margot. C'est son titre même. Une petite Margot qui se retrouve reine, une petite Margot qui n'a rien demandé que d'aimer et d'être belle autant qu'Isabelle Adjani jeune, une petite Margot qui a sa place dans l'histoire comme une sacrifiée, pour l'illusoire paix de la France.

Chéreau est un monstre. Ma critique est absolument objective en tant que théâtreux qui a pleuré toute triste la journée du 7 octobre 2013, mais la Reine Margot, enfin remasterisé et redonné au public, est un film qui doit être vu. Peut-être qu'avoir les pieds et les mains dans le théâtre et l'opéra aide à apprécier le film dans ce qu'il a de spectaculaire. Sang qui gicle, qui coule, qui transpire, le film n'est pourtant pas littéralement violent. Il n'a pas l'horreur de la Passion du Christ, par exemple, où toute la violence du monde est concentrée sur le corps d'un seul homme. Mais la violence chéraldienne (meilleur adjectif du monde :3) est intérieure, elle fait subir aux personnage la même tension que des personnages raciniens, jusqu'à être rongé de l'intérieur, jusqu'à transpirer son propre sang et à étouffer plutôt que d'expirer.

Et puis c'est beau. Les costumes sont raffinés. Isabelle Adjani est belle. Virna Lisi est terrifiante. Pascal Greggory est méconnaissable. C'est beau.
Ashen
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le 18 mai 2014

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