Quand le cinéma rend con (tre)
D'Alain Cavalier, je n'avais absolument rien vu. Bien sûr, difficile de passer à côté de "Pater" lors de sa sortie à Cannes, ovationné, puis nominé au César en 2012. Adoré par certains, décrié par d'autres comme un cinéma pour cinéastes ou pour cinéphiles avec ce que le terme a de plus péjoratif, je m'y étais intéressé, sans toutefois m'y arrêter.
Deux ans après cette sortie, c'est donc avec cet objet d'à peine plus d'une heure que je "rencontre" le réalisateur. Je parle d'objet car, malgré le média utilisé, il s'agit plus d'un objet filmique que d'un film à proprement parler. Aucun fil narratif n'est ici présent, le réalisateur se contentant de nous montrer des plans, souvent presque fixes, accompagnés de commentaires.
De quelle rencontre s'agit-il donc ici ? D'abord, du cinéaste avec une femme, nous dit le résumé, d'une femme qu'il décide de filmer avec une caméra non professionnelle. Enfin, de filmer des moments de vie partagés avec cette femme, plutôt, on ne voit jamais le personnage entier. Ce sont des moments fugitifs, des instants volés, qui se sont apparemment transformés en film. De ces instants volés, le cinéaste a tiré plus que de simples souvenirs.
C'est aussi la rencontre entre son et image, le locuteur n'est jamais montré, évoquant ce qui se trouve à l'écran, de manière assez neutre, sans grand effet. La rencontre du spectateur avec le hors-champ. En aurait pu s'attendre à un cinéma prétentieux dont la voix off serait liée à des images plus ou moins abstraites, s'ancrant dans du symbolisme s'appuyant sur des plans sublimes et magnifiés par la technique. Mais ici, la démarche est autre, même si tout autant cavalière (haha). Le matériel utilisé privilégie la fragilité, une sorte de réalisme, de dénuement qui arrive à avoir un impact visuel malgré tout.
La prétention est plutôt ailleurs. Dans le fait de considérer des images "de souvenir" comme un film. L'impression d'une certaine remise en cause du cinéaste en tant que technicien. Que c'est à la portée de toute personne possédant un bête caméscope. S'écartant de cette technicité, le cinéaste se trouve alors ailleurs. Dans le cadrage et le choix de quoi filmer ou non, déjà. Dans le choix du montage, qui n'est pas neutre, et qui n'est pas à la portée de tout un chacun. Cette rencontre est donc aussi celle du cinéaste avec la salle de montage. Faire des films avec son appareil photo numérique ne suffit donc pas. Une prétention qui est dans le processus, dans le fait d'oser proposer ce genre d'objets vidéo. Ces moments "volés", à la base sans réelle ambition autre qu'eux-mêmes, se transforment en désir du cinéaste de les transformer en quelque chose qu'on pourrait nommer film. Cavalier, par cet objet qui, par son résultat, est assez quelconque, propose donc une réelle réflexion sur le métier de réalisateur et sur le processus de création.
"La Rencontre" du cinéaste avec cette femme se transformes donc en "rencontres" multiples, pour donner un objet qui peut ennuyer, qui peut paraître vain, mais qui peut aussi interroger et ne peut, en tout cas, laisser indifférent.
Pour le titre, oubliez, c'était juste pour le fun.