La résistance de l’air était plein de promesses, tant par son titre, magnifique, où ses scénaristes, Thomas Bidegain et Noé Debré, collaborateurs d’Audiard. Pourtant, le film ne remplie qu’à moitié ces attentes et on en ressort mitigé. Les belles idées de mise en scène comme le jeu de Reda Kateb, aussi sobre que juste (il porte le film, littéralement), pèsent en faveur du film alors que le scénario, parfois trop prévisible, et quelques choix dans l’évolution des personnages, tendent à en affadir la portée. Au final, le film baigne dans une grisaille tenace et quelques poncifs propre à son pitch : un homme bien pris dans un engrenage qui le dépasse. Il faudra attendre environ 40 minutes pour que Renaud, personnage enjoué et ambigu, ne propose enfin un contrat à Vincent, celui qui lui fait signer avec le diable. Dès lors, c’est l’adrénaline qui monte, celle que ressent Vincent. Premier tir, l’argent facile, la moto, les boîtes de nuit, les femmes, le changement de vie. Voilà Vincent plus seul que jamais, il a perdu son père (relation intéressante, mais abandonnée en plein cœur du film) et sa femme a fui le domicile conjugale, sa fille sous le bras. Pourtant, il se sent changer et toute son attitude avec. Reda Kateb donne de la force et de la poigne à ce personnage pourtant banal de type bien, appliqué dans son travail qui se laisse happer par des promesses.


La force du film est aussi sa faiblesse : on ressent les choses à travers Vincent. Ainsi, Fred Grivois propose un travail sur le son, on entend littéralement la balle fendre l’air, l’image se ralentir quand le cœur se met à batte, avant l’impact. Mais on entend aussi avec Vincent, belle idée de mise en scène : quand Vincent met ses bouchons d’oreille, le son est coupé ou du moins étouffé, on ressent le monde comme lui. Intensément, le film s’accroche à son personnage, gros plan sur les mains quand il va accepter son contrat, sur le visage déterminé et droit de Vincent, sur son sourire quand il croit y arriver, trouver une nouvelle voie. Son corps entier prend une autre attitude. Après cette première balle pourtant, Vincent, pour qui le tire est un triptyque jugé facile entre « toi, l’air et la cible », n’a pas le choc escompté, il retourne à sa léthargie, refuse le second tire. Bien sûr, il est rattrapé. S’il balaye les questions de ses proches sur ses nouveaux revenus, il ne peut échapper à la violence du milieu dans lequel il est entré et pour lequel on devient soi-même une cible, un déchet. Fait roi, il est aussi vite abandonné par ceux qui ont construit son trône de sang. Invisible sur son toit, solitaire avec son arme, Vincent ne se rend pas compte qu’il joue à un jeu dangereux. Le film l’isole de plus en plus puisque tous les personnages qui comptent finissent par disparaître, jusqu’à ce qu’il soit traqué. Côté thriller, on est donc happés avec Vincent dans un tournoiement infernale, même si le film perd beaucoup de temps en bavardage, c’est aussi un film de camouflage. Si Reda Kateb est comme un caméléon dans le film, se fondant dans le décors, échappant au bruit ambiant pour disparaître, il ne peut complètement accepter de continuer à subir sa vie. Tel le « héros » de De Battre mon coeur s’est arrêté, il est jusqu’au-boutiste, imprégné par sa passion : le tire, qu’importe l’arme qu’on lui met entre les mains. A la différence que le personnage qu’incarnait Romain Duris ne nous était jamais présenté comme « un type bien ». Résultat, si le film commence doucement, mettant en place sa situation : problème familiaux, maison en construction et à l’abandon, père malade, argent manquant, il devient rapidement palpitant avant que la tension ne retombe un peu trop.


« C’est ça un couple »


La résistance de l’air est aussi un film sur le couple, celui qu’incarnent Ludivine Sagnier et Reda Kateb. C’est pour avoir une vie « mieux qu’avant » que Vincent se lance dans ce contrat diabolique. Mais il n’y aura pas de retour en arrière possible. La maison en construction ? Le besoin d’un projet commun à avoir ensemble. Pourtant, dès la première difficulté, l’épouse quitte le navire. Le grand-père semble avoir décelé l’ennui, les corps qui ne se touchent plus, bref un couple en perte de vitesse. Ils ne dialoguent plus. Quand Vincent devient plus animal, moins enclin à la vie domestique, l’argent vient encore pourrir les retrouvailles. Dans ce film de mecs où l’on parle beaucoup de baise, la relation de couple est pourtant centrale, même si c’est dans le sexe plus bestial que Vincent se libérera du carcan de sa vie posée d’avant. Cette analyse plus psychologique des événements ne s’accorde pas toujours à la noirceur du thriller qui se noue. Dans ce couple, chacun compte sur l’autre sans se le dire vraiment, même si Vincent s’émancipe, change, et reproche à sa femme de ne pas vouloir changer davantage, de vouloir reprendre la vie comme avant, sans saveur, sans folie, ils cherchent tout de même à se retrouver, se posséder. Sur l’affiche, Reda Kateb apparaît le regard déterminé, son fusil à la main, serrant Ludivine Sagnier à la gorge. Les voilà solidaires, l’emprise du corps de Vincent s’exerçant doucement contre celui de sa femme qui pourtant pose sa main sur celle de son mari, un geste banal mais tendre qui montre à quel point le désir d’une vie meilleure, ensemble, pousse chacun dans ses retranchements.


Ce couple-là résiste à quelque chose qu’on ne comprend pas vraiment – aussi invisible que l’air que la balle doit traverser et qui décide de sa trajectoire et ce, en fonction de l’impulsion donnée par le tireur – la fin les laisse un peu comme on les a rencontrés, mais pas tout à fait identiques. Ce dernier plan étiré en longueur, léthargique et un peu vide, est à l’image du film. On y croise de longs plans aériens, des coupes plus franches dans l’évolution de la narration et ces plans resserrés sur le visage de Vincent. Les dialogues sont souvent savoureux, bien écrits, ils donnent à sentir l’ampleur des rapports de force qui se jouent à tous les niveaux : entre le mari et la femme, entre le père et son fils, entre Renaud et Vincent aussi, dont la relation est tour à tour très amicale, mais surtout basée sur un contrat immanquablement fragile : l’argent. On n’est pas plus heureux quand on le possède, n’en déplaise au sentiment de puissance qui s’empare un temps tant du film que du corps et de l’esprit de Vincent. Un homme que le film isole de plus en plus, mais dont le portrait complet et la personnalité ne s’éclaire pourtant dans toute sa véritable complexité que par les personnages qui l’entourent et guident ses choix plus ou moins consciemment. Dommage que le film hésite à les garder jusqu’au bout auprès de lui.


En savoir plus sur http://www.cineseries-mag.fr/la-resistance-de-lair-un-film-de-fred-grivois-critique/#q3jKlw10k4XqCkxC.99

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le 17 juin 2015

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