Cecilia au pays des merveilles...
L’espoir n’est pas toujours déçu, il est même parfois récompensé. Même si pendant des années, j’ai honteusement confondu dans mon esprit La Rose Pourpre Du Caire de Woody Allen avec La Couleur Pourpre de Steven Spielberg, il n’est plus possible que cela arrive, tant ces deux films sont maintenant gravés de leur identité. Woody Allen est si productif qu’il traine derrière lui un certain nombre de casseroles artistiques qui sont autant de films épouvantables souvent d’un niveau inférieur à ce qu’il a pu réaliser en début de carrière. Chaque découverte en devient avec lui un coup de poker qui peut, c’est selon, soit donner envie de lui casser la figure (pour ceux qui détestent qu’on se paie leur tête), soit de lui prodiguer un légendaire french kiss avec bruits de succion et langue au fond de la gorge. Il est vrai que Woody ne concourra jamais pour mister univers, mais il a encore aujourd’hui le charme désuet de ces hommes lunaires et un tantinet dérangés qui plaisent.
Madame rêve, du moins Cecilia rêve. Elle rêve chaque fois qu’elle passe du temps au cinéma devant des films exotiques remplis d’hommes d’une classe folles et de femmes toutes plus fatales les unes que les autres. Elle connaît chacun par son petit nom, par sa carrière et par son talent, chaque film est pour elle plus qu’une évasion, car Cecilia vit sa vie par procuration. Elle voit chaque film plusieurs fois et devient l’une de ces beautés à la vie romanesque et aventureuse, une vie de cocktails et de robes vaporeuses, prête à tomber dans les bras forts et rassurants des plus beaux des hommes. Si Cécilia en a tant besoin, c’est parce-qu’être serveuse dans un restaurant sous les ordres d’un tyran et à la merci de clients toujours plus exigeants n’a rien de bien glamour. Ajoutez-y un mari violent, joueur et un brin faignant et vous n’aurez rien de bien sexy non plus. A force d’y croire et d’aimer cet univers fantasmé, Cecilia va provoquer l’impossible et rendre fou d’elle un des personnages du film à l’affiche, qui sortira de l’écran pour l’enlever avec le panache et le romantisme qui s’imposent.
Cette Rose Pourpre restera une des plus belles réussites de Woody Allen qui a su trouver dans cette histoire le juste équilibre entre la farce burlesque de ses débuts, le romantisme des films de l’âge d’or d’Hollywood et l’étude de mœurs qui a fait sa griffe au long des films. Le mélange de gravité et de légèreté est tout ce qu’il y a de plus savant, entre le mari touchant d’être si empoté et les coups qu’il sait faire pleuvoir, entre la rêverie éveillée de Cecilia et son univers ouvrier tellement gris, Woody Allen joue à merveille la partition de la nuance, jamais manichéen il livre des personnages attachants et dominés par le désir de ce qu’ils ne peuvent atteindre. Jusqu’à cette fin tellement belle entre gris clair et gris foncé, presque inattendue et qui évite l’écueil des bons sentiments et de la guimauve. Elle contribue à grandir un peu plus cette superbe réussite, pleine d’une sincérité qui la rend si belle.
Mais surement pas aussi belle que Mia Farrow, incroyablement craquante et pleine du charme des années folles. Elle transmet un mélange unique de fragilité, de détermination, d’un personnage qui semble perdu dans un monde qui n’est pas le sien. Tant de choses semblent passer par le regard de cette actrice, des sentiments aussi vastes que l’espoir, l’amour, la peur et la joie. Elle mélange le tout par une science qu’elle seule connaît et envoûte même les moins sensibles à son charme. Jeff Daniels en prince charmant est juste étonnant et compose une partition dont il ferait bien de se souvenir, une partition pleine de charme, de classe et de prestance qui le hisse au niveau des mâles les plus beaux du septième art.
La Rose Pourpre Du Caire restera une de mes confiseries favorites, de ces films que la tendresse pousse à revoir et qui vous donnent une salutaire sensation de mieux-être. Sur fond de musique, jazz évidemment, vous divaguerez entre rire, tendresse et tristesse, pris d’affection pour le minois délicieux de Cecilia, touchés par cette naïveté qu’elle a de faire les yeux doux à une créature de pellicule. Woody Allen a rarement insufflé autant de vie à un univers si cohérent, si parfaitement réussit et si rempli d’un amour pour le septième art qu’on sent pleinement assumé et revendiqué, la mise en abyme du film maitrisée en témoigne. Succombez au charme cinéphile de Mia Farrow et qui sait, si vous fermez les yeux assez longtemps, peut-être les rouvrirez-vous comme elle de l’autre côté du miroir.
P.S.: J'ai une nouvelle amoureuse, encore...