La Route au tabac par Maqroll
On compare souvent ce film aux Raisins de la colère, sorti un an auparavant, et on ne manque jamais de souligner combien le précédent est aussi bon que celui-ci raté… La différence tient à mon avis à une raison très simple : Les Raisins de la colère est tiré d’un roman de Steinbeck, La Route au tabac d’un roman d’Erskine Caldwell. Tous les deux sont des romanciers américains, contemporains de Faulkner et tous deux ont décrit la condition misérable des Américains touchés par la grande crise de 1929 mais la comparaison s’arrête là car autant Steinbeck est un romancier puissant et visionnaire, autant Caldwell est un auteur certes prolifique mais à courte vue et limité. Ses personnages sont le plus souvent méchants et mesquins (ils ont certes des excuses) quand ils ne sont pas carrément dégénérés et sa vision du monde est pessimiste et parfois malsaine. Tout cela s’accorde très mal avec l’humanisme de John Ford, qui essaie d’orienter comme il peut son propos vers un point de vue plus en accord avec sa philosophie. Résultat, un film décalé, en constant déséquilibre. Dans le rôle principal, Charley Grapewin cabotine à l’envi, Gene Tierney fait une apparition en sauvageonne demeurée et Dana Andrews traverse brièvement le film dans un des rares rôles sympathiques. Mais le meilleur de l’interprétation est incontestablement à mettre au compte d’Elisabeth Paterson qui joue la mère, seul être digne de cet univers qui s’écroule. Au total, un des moins bons films de John Ford, qui donne tout de même une vision réaliste de la misère régnant sur certaines couches de la population américaine en ces temps troublés.