Dans les années 1920, deux femmes anglaises rejoignent en Inde un employé du gouvernement britannique, fils de l'une et futur mari de l'autre. Elles veulent prendre contact avec l'Inde réelle, hors-palace et carte postale ; l'enchanteresse, pourquoi pas la mystique et même la populaire. Leur essai sera laborieux. Au lieu de simplement tourner court il va flirter avec le drame, voire peut-être s'y vautrer. Cet échec n'est pas tant le fruit de péripéties que de lourds bagages psychologiques et culturels. Le film semble sans ombres, ses habitants à l'abri de grandes menaces, mais une inquiétude se diffuse discrètement. Elle empêche ce tableau placide et sublime de se livrer pour ce qu'il est, devenir le théâtre d'échanges et d'aventures constructives.
Au travers de ces tentatives (pauvres et touchantes), La route des Indes rend palpables les incompatibilités entre Occident[aux] et Orient[aux], aux raisons mentales et pratiques, sûrement pas magiques. Le dernier film de David Lean a les allures d'une grande fresque comme ses prédécesseurs. L'enveloppe est massive, romanesque, le spectacle presque posé et minimaliste. D'un point de vue comptable et stylistique, le film est très riche, propose des personnages, des rencontres, des décors forts ou profonds. Mais il est plus faible en terme d'intrigues et d'engagement, il semble aussi 'trop large et ouvert' – c'est une orientation dont se sentent les limites, plutôt qu'un authentique défaut. C'est aussi un film ne suivant pas de ligne droite, d'histoire ou de démonstration fixe, le voyage servant de fil conducteur et l'approche d'un monde de thème général.
La séance se donne en deux grands versants, séparés brutalement par un épisode au déroulement obscur (où l'Audrey de Barton Fink semble perdre tous ses repères). Dans le premier les colons sont face à l'Inde, leur supériorité est difficile ; par la suite leur domination est chamboulée. Et vacille lorsqu'elle croit se rappeler avec force – avec la légitimité de son côté, malgré une grogne collective venue réveiller les aigreurs latentes. Dans l'épilogue, nous ne voyons plus les anglais comme des colons et les indiens comme des sujets – nous les voyons par le biais d'une amitié qui l'a emporté sur les conflits du passé, les rapports de race et de classe.
Enfin, en marge de son quator principal, positif au dérapage près, le film est traversé par des personnages désagréables ou turbulents. Globalement, les premiers sont les fonctionnaires de l'occupation (Ronny ou l'inspecteur de police à la fin), les autres expriment de manière primaire ou péremptoire l'âme ou les besoins d'un peuple. Le professeur Godbole est issu de ceux-là ; un religieux pénible, superstitieux, mais aussi pourvu d'une 'résilience' liée au fatalisme. Son interprétation par Alec Guinness est sous influence Peter Sellers - un détail qui cadre avec l'orientalisme folklo et donc met un peu de familiarité dans cette expédition à l'autre bout du monde.
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