Entre 1990 et 1999, en Europe, à deux pas de chez nous, s'est déroulée une guerre cruelle, civile et fratricide, dont nous avions parfois des difficultés à suivre les péripéties et à appréhender les enjeux véritables.
La première Yougoslavie issue de la Première guerre mondiale, celle du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes à la tête duquel se sont succédées une monarchie constitutionnelle puis une monarchie autoritaire sera bientôt prise dans la tourmente de la seconde guerre mondiale.
Cette Yougoslavie dont bien plus tard Josip Broz Tito disait qu'elle était faite de six républiques, de cinq nations, de quatre langues, de trois religions et de deux alphabets a été tôt soumise à des forces centripètes et centrifuges à base d'ambitions, d'arrière-pensées et de nationalismes qui devait conduire à l'éclatement de la République fédérative Socialiste de Yougoslavie après la mort de celui qui avait su mettre à flot un Etat fédéral viable et qui participait avec force et conviction au concert des nations après la Conférence des non-alignés de Bandung en Indonésie en 1955.
La ruche est inspirée de l'histoire authentique d'une communauté villageoise du Kosovo aux lendemains d'un des massacres que les nationalistes serbes y ont commis. Fahrije Hoti vit avec ses deux enfants et son beau-père infirme dans l' attente d'un hypothétique retour d'un mari porté disparu mais dont on n'a pas retrouvé le corps. Elle vit ainsi dans la même situation que des dizaines de femmes de son village : l'infinie douleur de la perte et du deuil suspendu et la précarité matérielle.
La Kosovare Blerta Basholli réalise ainsi son premier long métrage avec une grande sobriété de mots et d'émotions, sans jamais céder à l'apitoiement, au risque de flirter parfois avec le documentaire.
Fahrije reprend à son compte l'activité d'apiculture de son mari disparu, fabrique du miel qu'elle vend au marché voisin. Elle amplfie son activité en fabricant de l'ajvar, une spécialité locale faite à base de piments, de poivrons et d'aubergines, passe le permis de conduire une automobile et trouve un nouveau point de vente de sa production. Peu à peu, elle va convaincre les autres femmes de s'associer à son entreprise et à se soustraire à l'hostilité des hommes du village et à la mentalité patriarcale qui exige que les veuves s'immobilisent dans une douleur muette presque expiatoire.
Elles sont belles, ces femmes de tout âge qui font face avec force et dignité sur le chemin d'une résilience qui est la plus belle réponse qu'elles peuvent opposer à toutes les dominations et à toutes les blessures infligées.
J'avais envie de poursuivre ces quelques phrases sur un film sensible en disant qu'il porte en embryon une réflexion sur la résilience et le déni qu'elle aide à surmonter. Le résultat d'un test ADN qui établit de manière incontestable l'identité d'un corps retrouvé est nié par Fahrije. Cette séquence de quelques secondes n'est pas sans intérêt même si Blerta Bsholli choisit de n'en rien développer.