Kenji Mizoguchi réalise entre 1922 et 1956 près d’une centaine de films. La Rue de la honte est son ultime réalisation. En brossant le portrait de cinq prostituées dans le Tokyo d’après-guerre, Mizoguchi remet sur le tatami une thématique qui aura été le fil rouge de sa filmographie : le statut des femmes japonaises et en particulier celui des geishas. Les éditions Caprici rééditent ce film peu connu dans une version remastérisée Blu-ray/DVD.
Un film engagé
Yoshiwara, le « rêve » en japonais, est un établissement de charme situé dans Le Quartier de la lumière rouge (titre original). Cinq « courtisanes » y officient pour un maigre salaire sous la houlette d’un couple de tenanciers. S’y rendent discrètement ou sans souci (sushi) du qu’en-dira-t-on, hommes d’affaires ou traine-misère, hommes mariés ou célibataires invétérés. Parallèlement, un projet de loi visant à interdire les lieux de prostitution divise la communauté. La Rue de la honte s’inscrit à la suite de Miss Oyu ou des Musiciens de Gion, dans une filmographie très fortement consacrée à la condition de la femme japonaise. L’occasion pour le réalisateur de mettre en évidence l’hypocrisie d’une société ancestralement patriarcale.
Solidarité féminine
Film choral, La Rue de la honte s’attache à cinq femmes aux personnalités différentes. Il y a d'abord les expérimentées Yumeko et Yori : la première s’accroche au rêve de voir son fils entrer à l’usine, la deuxième à un mariage longtemps repoussé. Il y a Hanaë qui supporte la double charge d’un nourrisson et d’un mari tuberculeux. Elle emprunte à crédit à Yasuni dont la beauté le dispute à son sens de la thésaurisation : une pipe est une pipe et un yen est un yen ! Et puis Mickey, la dernière arrivée, « panier percé » au grand cœur qui tire sur sa cigarette avec la même indifférence qu’elle enchaine les clients. Chacune compose avec ses rêves, parfois illusoires et ses difficultés mais toutes font preuve d’une grande solidarité comme dans la scène des cadeaux de mariage pour Yori. Une poignée de personnages féminins très attachants et parfaitement interprétés.
Ombres et lumière
Mizoguchi est connu pour apporter un soin tout particulier à chacun de ses plans. Cela se traduit aussi bien en matière de rythme – la formule « une scène/un plan » s’appliquant particulièrement bien ici – qu’en termes de photographie. La Rue de la honte bénéficie notamment d’un superbe noir et blanc sublimé par la remastérisation. Les scènes de rue, souvent nocturnes, s’accordent parfaitement au clair obscur typique du style de Mizoguchi. Le travail sur les décors est également caractéristique. En artisan du plan, le réalisateur n’a de cesse de jouer avec les lignes architecturales, tant du point de vue du cadre (ou des cadres dans le cadre) que de la lumière. Les extérieurs – la rue – et les alcôves propices aux confidences s’agençant comme dans une maison de poupée. De l’orfèvrerie cinématographique.
Un beau film à redécouvrir.
8/10
<3
Critique à retrouver sur le Magduciné