L'époque et le cadre, les années 20 à Vienne, n'étaient vraisemblablement pas porteurs d'un élan joyeux ou d'une joie communicative, si l'on en juge le contenu du film de Georg Wilhelm Pabst, c'est le moins qu'on puisse dire. Le titre annonce la couleur, toutes les couleurs, même : La Rue sans joie, c'est-à-dire le portrait double d'une rue et d'une misère. Une sorte de proto-film choral, avec un lieu très réduit dans lequel évolue une multitude de personnages — parmi lesquels on peut voir Asta Nielsen et surtout Greta Garbo, dont le maquillage épais vient accentuer les effets d'ombres et de lumières dans la continuité d'un expressionnisme allemand plutôt accentué.
La majorité de la population baigne dans une misère noire, sans aucun rayon de soleil, avec seulement des combines pour survivre. Des combines qui sont plus prosaïquement liées à la prostitution dans l'arrière-boutique d'un boucher, un personnage inique et particulièrement abominable. Une scène notable montrera comment une jeune fille se prostituera (en hors-champ bien entendu) dans ce lieu horrible, et comment le boucher la rétribuera par la suite avec un morceau de viande. De la viande contre de la viande. De l'autre côté, il y a tous les hommes d'affaire (un peu trop unanimement) véreux, particulièrement friands de spéculations financières en répandant des rumeurs de grève pour faire baisser l'action et maximiser les profits. Un magasin de vêtements abrite leurs affaires, tenu par un autre personnage sinistre de mère maquerelle. La confrontation des classes, avec les miséreux exploités par les bourgeois, dans toute sa splendeur.
Une vague histoire de meurtre et d'enquête policière constitue un autre fil rouge poursuivant son cours jusqu'à la fin où peu ou prou tous les arcs trouveront un happy end (éventuellement contraint, si l'on en juge les conditions de production). De riches spéculateurs qui se complaisent dans un luxe ostentatoire, des prolos sans emploi qui gisent dans les bas-fonds, les institutions impuissantes quand elles ne sont pas complices : la violence du propos et la crudité du ton sont assez étonnantes, quoiqu'un peu trop alignées dans une même direction sordide. Mais le tableau de la débauche, du vulgaire, du chic qui jouxte la luxure, est vraiment éloquent.
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