Au mot "sexuel", la rue meurt...
Quel film osé pour son époque, osé de traiter de manière si ouverte la question de l’homosexualité, osé de traiter cette question sous un angle ouvertement favorable ce qui était considéré à l’époque, au mieux comme une déviance, au pire comme un acte diabolique. Il fallait alors toute la légitimité d’un poids lourd du cinéma comme William Wyler pour embarquer dans son sillage des producteurs et surtout des actrices qui rendraient incontestable un tel film. Seulement comme toujours avec ce genre de film engagé sans être manichéen (c’est le même problème avec Train d’Enfer de Roger Hanin), il peut dans une certaine mesure, être interprété par les homophobes comme un film contre les homosexuels, en tout les cas pas contre l’homophobie.
Karen et Martha, deux amies d’enfance tentent de faire exister une pension pour jeunes filles et sont aidées en cela par la tante de Martha, une des plus mémorables cruches de l’histoire du cinéma. Car cette dernière, homophobe comme le monde entier à l’époque, lâche des propos ambigus lors d’une conversation, suggérant que sa nièce est amoureuse de son amie d’enfance, ce qui s’avère être exact. Trois jeunes filles surprennent cette conversation et la rapportent à la petite peste de service qui s’empresse de tout raconter à sa grand-mère dans le seul but de nuire. Les parents défilent alors dans la journée pour retirer leurs enfants de la pension qui n’a d’autre choix que de fermer, laissant ses deux propriétaires sans ressources, sans moyens de défense et jetées en pâture à la vindicte populaire.
Ce film n’est pas clairement dénonciateur de l’homophobie, peut-être n’aurait-il pas vu le jour s’il l’avait été. Il utilise plutôt la rumeur pour en démontrer, par un moyen détourné, les effets dévastateurs. La réaction homophobe des parents n’est pas réellement dénoncée, mais plutôt les effets de leurs réactions sur Martha qui elle, est une homosexuelle que Wyler ne diabolise pas, mais montre plutôt comme quelqu’un de malheureux du regard de autres. S’il y a du repentir à la fin, lorsque la vérité apparaît et que les accusations de relations contre-nature entre les deux amies tombent, c’est plus pour avoir porté de fausses accusations que pour la nature même des accusations. Alors, on peut être déçu par ce qui passerait aujourd’hui pour de la frilosité, mais il faut se rappeler que, même si la côte ouest des U.S.A est un jour devenue un Eldorado pour les homosexuels, il y eut une époque, pas si lointaine, où les sociétés les traitaient comme des pestiférés. Il y a donc bien du courage de la part de tous ceux qui sont à l’origine de ce film magnifique d’une puissance évocatrice rare.
Audrey Hepburn (ces yeux, mon Dieu ces yeux ! Grands, beaux et bienveillants ! Quelle grâce infinie dans le lent battement de cil ! I'm mad, about the girl !)) et Shirley MacLaine, toutes deux magnifiques, baignant dans un scénario d’une efficacité redoutable et sans temps morts, assument pleinement leur réputation d’actrices légendaires du septième art. Audrey Hepburn en femme douce et digne qui ne soupçonne pas un instant les sentiments de son amie, Shirley MacLaine donnant un jeu plus dur aux sentiments plus tranchés, presque sans nuances, le jeu d’une femme qui souffre en silence depuis des années et qui désire enfouir pour toujours ces sentiments. Pourtant, au-dessus d’elles, il pourrait bien y avoir Fay Bainter dans le rôle de la grand-mère de Mary, celle par qui le scandale arrive. Elle est celle qui informe tous les parents du supposé scandale et entraine la fermeture de la pension. Cette actrice a un jeu saisissant, des expressions du visage qui font passer une émotion de manière instantanée sans prononcer un mot. Son panel est large puisqu’elle passe de la femme dure pleine de principe du début à la femme navrée et pleine de remords en fin de film.
Qu’on ne s’y trompe pas, malgré le dénouement tragique du film, aucun des personnages ne verra son opinion évoluer sur l’homosexualité, à part peut-être Karen. Mais ce film se construit tout de même sur l’idée des fables de La Fontaine, travestir une histoire pour pouvoir dénoncer les travers de la société de manière détournée. Ici, l’homophobie latente des sociétés dites civilisées est abordée et rejetée à travers la rumeur d’un scandale qui envahit les esprits, transformant les doutes en certitudes et ôtant aux deux accusées toute possibilité de se défendre. Ce film est un très grand moment de cinéma, un exercice de style mémorable que tout bon réactionnaire qui se respecte (homophobe, xénophobe, trucsenphobe) devrait être tenu de voir un jour pour découvrir qu’il n’y a là rien de diabolique et que les homosexuels, qui se vivent mal, ne doivent leur malheur qu’aux regards malveillants des autres à leur encontre.