Présenté comme une fable tirée d'évènements réels le nouveau long métrage du philippin Lav Diaz fait figure de politique-fiction d'une maîtrise formelle et d'une exigence peu communes. Tenant lieu dans un village des Philippines du Sud à la fin des années 70 en plein climat de loi martiale et dictatoriale La Saison du Diable enchaîne, étire et mature ses longs plans fixes pour mieux conférer à l'Oeuvre de Lav Diaz sa cohérence plastique et son unité intrinsèques.
En un peu moins de quatre heures le cinéaste nous entraîne dans un voyage contemplatif doublé d'une puissance réflexive salutaire : ce sont bel et bien les questions d'oppression, de patriotisme et d'exaction politique qui intéressent douloureusement Lav Diaz, ce dernier passant humblement au crible toutes les formes d'abus auxquelles fut confronté le peuple philippin durant la période retranscrite ; pour ce faire le réalisateur s'inscrit intelligemment dans une logique inductive, prenant deux ou trois cas particuliers ( ici une aide-soignante opérant dans un contexte précaire, là un poète un peu trop porté sur l'alcool, là encore un intellectuel aguerri proche du vieux sage...) afin d'amener le spectateur à prendre pleinement conscience du malaise contemporain.
Sur le plan purement dramaturgique La Saison du Diable est un film immense ; pratiquement intégralement chantée a cappella par l'ensemble des comédiens et des comédiennes l'oeuvre-monstre de Diaz dessine un certain nombre de lignes directrices convergeant vers une seule et même fatalité : les dignitaires pourfendent la masse à renfort d'intimidations, de propagande et de violences impunies. Sous ses dehors méditatifs et redoutablement beaux ( le Noir et Blanc est une nouvelle fois d'une densité, d'une complexité et d'une splendeur quasiment inespérées ) ledit film n'en demeure pas moins hautement engagé politiquement, et de fait très personnel ( l'authenticité de la démarche du cinéaste transparaît clairement lors de l'incipit accompagné d'une voix off trouble mais percutante ).
Les rengaines chantonnées avec véhémence par certains personnages font parfois penser aux méthodes propagandistes organisées par les dirigeants d'un État - quel qu'il soit ; en effet le caractère répétitif des motifs musicaux évoque souvent le bourrage de crâne des consciences citoyennes, surtout lorsqu'ils sont proférés par une milice définitivement notoire et sans scrupules. Enfin l'aspect centripète des plans, cette manière d'absorber et de capter les éléments du réel avec un impassible statisme rappelle beaucoup les films du portugais Pedro Costa, Lav Diaz partageant avec l'auteur de En avant, jeunesse ! le goût pour les fables tour à tour formellement rigoureuses et politiquement tranchées. Un très grand film !