La façon dont une société éduque ses enfants en dit long sur elle-même et Platon l’avait déjà parfaitement compris, qui déclarait : « Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et toute jeunesse le début de la tyrannie » (La République). C’est à ce même constat que semble aboutir le quatrième long-métrage d’Ilker Çatak (11 janvier 1984, Berlin Ouest - ), mais sous une forme légèrement plus énigmatique.
Secondé par son ami de collège Johannes Duncker en tant que coscénariste régulier, le cinéaste allemand met en place un dispositif aussi simple qu’implacable : dans un collège germanique non précisément situé dans l’espace mais à peu près contemporain, se produisent toute une série de vols, tant auprès des élèves que des enseignants. L’ère du soupçon est ouverte. Mais comment y faire face quand l’éducation se lie elle-même les mains concernant les moyens d’investigation dont elle pourrait disposer ? On répète avec insistance à un enfant de Cinquième interrogé, et dont le témoignage pourrait être précieux, qu’il a le droit de se taire ; absurdité qui repose sur la méconnaissance ou le déni du fait que se taire ou mentir est, bien plus qu’un droit, une option dont dispose tout être humain, même sous la pire dictature. La vidéo-surveillance, aide pourtant si précieuse puisqu’elle permettrait de disculper tous les innocents pour ne circonscrire que le coupable, ne peut être utilisée, puisqu’elle porterait atteinte au droit à l’image…
Leonie Benesch, remarquée dans l’envoûtante série d’Achim von Borries et Tom Tykwer, Babylon Berlin (2017), porte l’ensemble du film sur ses délicates épaules. Elle incarne Carla Nowak, enseignante de mathématiques et de sport très investie dans son travail, mais entortillée dans ces contradictions, au milieu desquelles elle se débat avec une droiture confinant parfois à la raideur et la conduisant jusqu’au malaise physique. Proscrivant tout esprit d’anecdote et de curiosité mal placée, le scénario reste intégralement centré sur le huis-clos de l’établissement scolaire et de ses abords, et l’on ignore tout de la vie des enseignants à l’extérieur, ce qui permet une montée de la tension et une dramatisation parfaites. Judith Kaufmann, directrice de la photographie, et Zazie Knepper, aux décors, créent un environnement qui oscille entre chaleur (les bruns d’un collège moderne, intégrant beaucoup de bois, et ceux des tenues volontiers portées par l’enseignante) et froideur (les bleus et les gris filtrant par les nombreuses baies vitrées et rencontrant ceux des éléments métalliques). Et la « salle des profs » éponyme, à travers les réactions et les commentaires nécessairement divergents, se charge à elle seule de donner à voir et entendre toute la diversité d’un monde. Quand cette rumeur ne transparaît pas à travers la virulence d’un groupe WhatsApp animé par les parents !
Le final, presque onirique (parodique ?…), présente l’élève soupçonné - et à coup sûr coupable d’insolence, de menaces très explicitement adressées à son enseignante et de cabale instruite contre elle -, emporté, comme en majesté, sur sa chaise d’école, par deux policiers. Une image assez éloquente de l’inversion des valeurs qui a volontiers cours de nos jours, dans notre singulier Occident…