Romance au sein des ruines de Berlin...
Il est très intéressant de constater à quel point la remise en question de la Seconde Guerre mondiale est traitée au cinéma dès la fin du conflit par le cinéma Américain. Billy Wilder, qui a d’ailleurs servi dans l’armée, livre dans La Scandaleuse de Berlin (A Foreign Affair, c’est quand même plus sympa) une vision plus qu’intéressante de l’envers du décor à Berlin, une vision loin d’être unilatérale de la victoire Soviético-Alliée. Un film qui fait probablement parti des influences de Soderbergh pour The Good German, toutes proportions qualitatives gardées bien entendu.
D’emblée, le film ne tourne pas autour du pot pour présenter son contexte : nous survolons une Allemagne rasée. C’est visuellement très impressionnant (et terrible) de voir des quartiers entiers de Berlin dévastés par les tonnes de bombes Alliées et d’obus Soviétiques déversés quelques mois plus tôt. Le contexte du film est très important car c’est en son sein que finissent par se noyer les vertus, et finissent par jaillir les vices dans les personnages du film, que l’enquête d’une membre du Congrès est censée révéler. Cela dit, rien n’est unilatéral comme je l’ai dit plus haut, et La Scandaleuse de Berlin est toujours dans la nuance, jamais dans l’accusation gratuite. C’est un film finalement très humain. Et à contrario de bien trop de films qui proposent non seulement une vision unilatérale de l’époque mais également un point de vue complètement bancal, biaisé par le désir de ne montrer que l’Amérique héroïque, les Britanniques, les Français et les Soviets sont aussi mentionnés. Ça n’est peut-être rien comme ça, mais ça a son importance dans la qualité d’une narration historique, d’autant plus quand la Guerre Froide est en train de se mettre en marche.
Dans bien des cas on aurait pu penser que l’histoire d’amour qui vient se juxtaposer à cette trame dramatique vient tout gâcher, mais elle est plutôt bien traitée. Il y a bien quelques moments niais, mais ils ne constituent finalement qu’un contraste qu’il est parfois agréable de retrouver avec la dure réalité de l’Allemagne. D’autant plus que les dialogues du film bénéficient d’une fine plume, et vont tout en fluidité, qui se permet d’ailleurs même quelques instants comiques, sans en faire trop.
La fluidité, c’est également le maitre-mot de la réalisation d’un bonhomme comme Wilder. Le soin du cadrage, du découpage et de la notion du travelling permettent au film de se garantir une vieillesse très agréable. Wilder est très moderne dans ses ambiances. Mais ça n’est pas un scoop. J’aurais voulu que la direction photo soit un brin plus travaillée, car elle est de bonne facture mais pas formidable, alors que les enjeux du film lui permettaient d’avoir quelque chose à réellement enrichir avec des placements de lumière judicieux.
Cela dit, c’est quand même l’occasion de constater que ce bel éclairage de studio sied toujours aussi bien à la formidable Marlene Dietrich, cette chanteuse de cabaret, qui n’a de cesse de nous imposer son charme, tantôt froid, tantôt exubérant, tantôt froidement exubérant. Wilder est de toute façon reconnu comme un bon directeur d’acteurs, et ça n’est pas avec la Marlene qu’il va prouver le contraire. J’ai cela moins été séduit par le jeu de Jean Arthur, la membre du Congrès, qui sombre un peu trop souvent à mon goût dans la facilité du surjeu féminin, soit par le personnage outré en permanence dans une première partie, soit par le personnage trop fémininement exagérée dans une seconde. Cela n’empêche pas non plus de moments agréables en compagnie du reste du casting. John Lund, le capitaine pris entre ses deux amours, est d’ailleurs très bon (alors qu’il me paraissait un peu anodin lors de sa première présentation).
Pas nécessairement un des films les plus connus de la carrière de Wilder (ni nécessairement un de ses meilleurs), La Scandaleuse de Berlin se laisse agréablement découvrir au sein de la carrière du grand monsieur. Derrière ses airs un peu vains si on se fie à certains aprioris, l’intelligence de Wilder demeure au rendez-vous et exploite le formidable capital cinématographique (pas si souvent traité que ça, d’ailleurs) que représente l’Allemagne d’après-guerre pour mettre en scène une réalité terrible, et malheureusement quelque peu oubliée.