La Sentinelle par Maqroll
Premier long métrage de Desplechin (son premier film, La Vie des morts était un moyen métrage), La Sentinelle nous fait plonger durant plus de deux heures dans un monde équivoque et ambigu qui rassemble les milieux de la diplomatie internationale (avec son corollaire obligé, l’espionnage) et ceux des instituts de médecine légale (les lieux où l’on autopsie les cadavres). C’est sa double appartenance à ses deux mondes qui va précipiter le jeune Mathias Barillet (au nom significatif) dans une histoire incompréhensible au début mais dont les fils se révèlent au fur et à mesure d’une exposition parallèle de l’histoire du héros et de celle du monde de l’après-guerre, qui vont se confondre jusqu’à la folie et la mort. La technique de Desplechin est sidérante de virtuosité et d’efficacité réunies, sa manière de mener un récit personnelle et unique. Dès cette première œuvre, il apparaît comme l’un des plus grands cinéastes français de l’heure pour ne pas dire le plus grand. Son propos rejoint largement la forme puisqu’il est question de l’être humain pris dans sa dimension doublement historique (celle de son histoire personnelle et celle de l’histoire de l’humanité) dans un questionnement vertigineux sur les origines et le devenir de l’espèce. L’interprétation est d’une homogénéité remarquable tant la direction d’acteurs est brillante mais on retiendra tout de même Emmanuel Salinger, tenace jusqu’à la déraison dans sa mission de « sentinelle » héritée de son père, Marianne Denicourt, aussi charmante que lumineuse et Jean Louis Richard dans un rôle ambivalent qui porte sans doute la clé du film.