Un deuxième visionnage de la "Sentinelle", film brillant et d'une folle ambition (trop peut-être pour le quasi débutant qu'est Arnaud Desplechin), le rend plus clair, et sans doute plus aimable : ses trois niveaux (1. l'initiation d'un jeune homme à l'amitié, l'amour, la vie professionnelle et l'action - 2. les frasques d'agents secrets désabusés, occupés à constituer un lucratif réseau d'ingénieurs russes prêt à travailler à l'Ouest - 3. Comment trouver une place juste dans un monde qui a perdu ses repères après la chute du mur de Berlin) s'enrichissent, se répondent et se construisent mutuellement de manière certainement plus harmonieuse et lisible passé le choc de la première vision. Voici en tous cas un cas hors du commun d'un premier long-métrage qui refuse la démission intellectuelle générale du cinéma actuel, pour se confronter aux cercles du pouvoir et au poids de l'Histoire, et pour finalement trouver une vraie morale individuelle : les sentinelles d'aujourd'hui (les défenseurs de notre Liberté) ne sont plus les diplomates, mais ceux qui osent encore se pencher sur le passé, la mémoire, les causes de la mort de l'autre, celui qui a été broyé par les dictatures et les génocides. Passionnant, tout simplement. [Critique écrite en 1992]