Martin Scorsese, grand cinéphile devant l'éternel, nous permet donc, via la World Cinema Foundation, de redécouvrir ce film considéré comme fondateur du cinéma sud-coréen, réalisé par Kim Ki-young, cinéaste dont le nom revient toujours quand il s'agit de citer le cinéaste coréen le plus marquant.
Je voudrais m'arrêter un court instant sur ce point, car il y a dans ce culte quelque chose qui m'amuse et m'agace à la fois. Pour être amateur de cinéma coréen depuis un bon moment, et pour m'y intéresser de très près, je suis bien placé pour savoir que les films de Kim Ki-young sont quasiment invisibles. A tel point que je n'étais parvenu jusqu'à maintenant qu'à voir une seule de ses œuvres (sur plusieurs dizaines), "Yang San Province". On est donc, à mon avis, dans un cas symptomatique de snobisme cinéphile. En effet, c'est plus semble-t-il, en ce qui concerne Kim Ki-young, son statut de cinéaste maudit que la qualité (supposée) de sa filmographie, qui fait tant parler.
Puisqu'on tient enfin un de ses films, restauré qui plus est, profitons-en...
Tout d'abord, débarrassons-nous d'une idée reçue : ce film serait sulfureux, extrême. "Un film choc" peut-on lire sur l'affiche qui servira de support à sa (re)parution en salles en juillet prochain. Cela fait doucement rigoler quand on pense par exemple au cinéma du japonais Wakamatsu, qui, lui, dès les années 60, envoyait du lourd, du très lourd.
Passé ce coup de gueule (qui ne vise en rien le réalisateur lui-même), je dois avouer que ce film a d'autres atouts à faire valoir : le mélange entre critique sociale et thriller psychologique est à la fois très bien traité et surtout amené de manière très subtile. Pour affirmer la fracture sociale entre les personnages, Kim Ki-young utilise un procédé pour le moins original. Ici, la maison qui happe peu à peu les protagonistes (et nous par la même occasion) est humanisée, et l'escalier, acteur central du film, est en fait la représentation du fossé qui existe entre l'ouvrier et le patron, le prolétaire et le (petit) bourgeois. En résumé, "T'as agrandi ta maison, donc tu vas passer à la caisse, à tous les sens du terme". Il y a aussi un côté farouchement féministe dans ce film, totalement réjouissant, et là, véritablement moderne pour l'époque.
La réalisation, quant à elle, est plutôt sage, mais très maligne, Hitchcock ne semblant jamais très loin.
Pour conclure, je dois avouer que la fin m'a posé question. Est-ce une fin purement moralisatrice, qui aurait alors été imposée au réalisateur, ou une pirouette gratuite qui, si c'était le cas, prouverait de la part de Kim Ki-young, un sens de l'humour certain.