Restauré il y a peu, c'est dans de belles conditions que l'on peut découvrir ce solide film de Kim Ki-Young qui semble avoir été source d'inspiration pour bon nombre de cinéastes coréens contemporains. Et s'il n'est pas dénué de petits défauts -sa narration étant un peu maladroite par moment et sa fin remet un peu tristement en question le film dans son intégralité-, il est aisé de comprendre l'influence qu'a pu avoir La servante ne serait-ce que pour sa réalisation inspirée qui, aujourd'hui encore, est loin d'avoir été éthérée par le temps.
C'est d'un coup d'oeil résolument moderne que Kim Ki-Young monte sa virulente critique sociale. Ses noirs et blancs sont somptueux et sa science du montage impressionne autant qu'elle permet au spectateur de rester complètement scotché à l'image du début à la fin de la séance. La servante ne souffre d'aucun temps mort, et même si sa narration peut parfois sembler cavalière (dans sa gestion de la temporalité notamment, quand on apprend que la servante est enceinte de deux mois alors que l'acte coupable -un peu précipité aussi de mon pointe vue- semble avoir eu lieu la veille), il est assez remarquable de voir avec quelle aisance Kim Ki-Young utilise à l'extrême le seul lieu qu'il film pour y dérouler son propos. En technicien très solide, il parvient à trouver les angles de vue qui vont servir au mieux ses intentions pour qu'en l'espace d'un seul plan, on puisse saisir une scène complète (l'accident de la servante dans les escalier par exemple où il parvient, en un plan, à cerner quasiment toute la famille).
Cette inspiration dans la réalisation est au service d'un propos on ne peut plus amer. Kim Ki-Young dissèque avec son film la notion de classe sociale dans la société coréenne et surtout les traditions qui les font vivre. Impossible pour cette cellule familiale sur le point d'imploser de prendre une décision sereine lorsque le mal est fait. Ce déshonneur directement dicté par l'héritage de leur culture va conditionner cette lente agonie que père et mère vont infliger inconsciemment à ce qu'ils ont de plus cher, leurs enfants. Kim Ki-Young enfonce d'ailleurs le clou lors d'une séquence très crue à base de mort au rat et de brisage de nuque dans des escaliers qui fait froid dans le dos et continue d'insister, si besoin était, sur la bêtise que peut inspirer cette si importante crédibilité sociale qu'il est bon d'avoir aux yeux de ses voisins.
Violent dans son propos mais aussi dans ses images, qui n'hésitent pas à briser certains tabous que l'on voit, encore aujourd'hui, rarement à l'écran, la servante est un film dense qui ne souffre d'aucune demi-mesure. D'ailleurs, à l'amusant versus qu'on pourrait en faire avec le remake qu'en fit Im Sang-soo en 2010, le film de Kim Ki-Young l'emporte en terme de violence psychologique. Il semblerait qu'en 2010, on ne touche pas aux enfants. C'est assez amusant, parce que généralement les langues se plaisent à dire que la violence est beaucoup plus rude dans les films actuels. La servante prouve que déjà en 1961, elle existait déjà, et de façon bien cruelle.