Un nombre premier a aussi son jumeau.
Tiré du roman éponyme de Paolo Giordano, La Solitude des nombres premiers nous emmène dans les méandres de l'isolement de deux personnes uniques, qui bien qu'elles soient faites pour être ensemble, mettront vingt longues années à se rapprocher.
Alice et Mattia, solitaires et inadaptés, tels des nombres premiers, sont tous deux hantés par des évènements tragiques survenus durant leur enfance. Ils se rencontrent au collège, se reconnaissent et construisent alors ensemble un équilibre fragile avant de prendre des chemins différents.
Des années plus tard, Alice et Mattia portent encore les cicatrices de ce passé qui les a maintenus en marge de la vie. Alice s'est réfugiée dans l'exercice de la photographie; Mattia a fait de sa passion des mathématiques son métier, mais leurs destinées semblent cependant irrévocablement liées.
Quatre époques nous sont narrées, de façon entrelacées, de manière à amener les flashbacks de façon intelligente, en nous dépeignant progressivement ses personnages, et non en nous livrant tout de but en blanc.
Doté d'une histoire passionnante, pourtant pas facile à renouveler, le syndrome du vilain petit canard ayant été usé jusqu'à la corne, l'implication du spectateur est profonde, et ce grâce à des personnages attachants, bien que particuliers. D'ailleurs si dans les habituelles histoires de brimades les personnages sont laids, petits ou gros, ici ça n'est pas le cas. Alice et Mattia sont physiquement dans la moyenne, afin d'éviter les critiques superficielles, et se concentrer sur l'aspect psychologique de leur solitude. Contre-pied important, si c'est leur psychologie qui est en cause, à cause graves blessures durant leur enfance, c'est en revanche leurs corps qui vont servir d'écho à ces souffrances intérieures. Alice boite, devient anorexique, Mattia se mutile et prend du poids. En somme le fil conducteur tient en grande partie dans l'évolution des corps d'Alice et de Mattia, sortes de girouettes nous annonçant l'état de leur équilibre mental.
Point important de mise-en-scène, Saverio Costanzo nous offre une narration particulièrement angoissante, rappelant par de nombreux moments les instants les plus oppressants des films de Carpenter, De Palma ou Kubrick. Un plan sur un long couloir qui rappelle Shining, l'entrée d'un tunnel qui renvoie à Body Double, une tempête de neige nous remémorant The Thing, le tout soutenu par des ambiances musicales oscillant entre les compositions de Carpenter pour son film Halloween ou Ennio Morricone pour The Thing. En somme des clins d'oeil importants, adaptés intelligemment aux situations, et nous enveloppant dans une terreur dérangeante, mais restituant avec justesse l'ampleur de ces traumatismes survenus pendant l'enfance.
Bref, La Solitude des nombres premiers n'est ni vraiment un appel à la tolérance, ni vraiment un appel à la compréhension ou la compassion, mais plutôt un film d'épouvante sur les relations humaines. Curieux me diriez-vous, mais quelle meilleure façon de dépeindre ces êtres à part qu'en nous livrant une oeuvre unique et inclassable ?
Pour sûr que ce film risque d'en déstabiliser plus d'un, qui bien qu'il soit narré de façon simple et compréhensible, passe plus son temps à nous effrayer qu'à nous émouvoir, certaines scènes suintant effroyablement le vécu, ne réussissant qu'à nous atteindre un peu plus. C'est finalement durant la dernière partie, la maturité étant atteinte, que nos personnages pourront enfin se libérer de leurs chaines, entrant dans une cinquième époque, que notre imaginaire se devra de concevoir.
Effet secondaire évident, l'oeuvre, de par sa singularité, risque de ne toucher qu'un public minoritaire; en définitive un film sur les nombres premiers réservé aux nombres premiers.
Pour conclure, les amateurs de films uniques en leur genre, renouvelant toute une industrie fonctionnant sur le principe du copié-collé de leurs prédécesseurs ne pourront qu'applaudir cet OVNI. Ceux qui s'attendaient à une amourette superficielle parsemée d'embûches risquent de déchanter, le tout étant bien trop singulier pour contenter une majorité habituée aux romances codifiées.
Mention spéciale pour Arianna Nastro, interprétant Alice adolescente, parfaitement à l'aise dans son rôle, jolie, attachante et intrigante, et donnant à son personnage une identité unique.