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La sortie récente en double DVD de Häxan, la sorcellerie à travers les âges, un chef d'oeuvre du cinéma muet, méritait bien que l'on s'y attarde un peu. Cette œuvre a été réalisée par le cinéaste danois Benjamin Christensen en 1922 et est sortie en France en 1926. Avant tout, gardons bien en tête l'année de réalisation de l'œuvre : 1922. Antérieur au Metropolis de Fritz Lang et au Nosferatu de Murnau, Häxan se présente sous la forme d'un documentaire-fiction, succession de saynètes découpées en sept chapitres, qui nous invite à revisiter la sorcellerie à travers les âges, de manière chronologique.
Il est difficile de vraiment résumer cette œuvre si singulière, parfois décousue et drôle, parfois effrayante et revendicatrice. Tantôt, on rigole face à la candeur joviale des gens de l'époque, tantôt on est choqué face à la folie absurde de l'église (comme lors de cette scène où un moine avoue à son supérieur qu'il en pince pour une femme, le supérieur s'empresse de condamner la femme à mort sous le prétexte qu'elle aurait envoûté son disciple). Parfois également, l'œuvre prête à frissonner comme lorsque Christensen nous dévoile l'intérieur d'un vieil automate, proposant une vision de l'enfer. Apparaît alors un tableau animé, baignant dans une fumée blanche sur un filtre rouge sang, où sont représentés les enfers. On y voit des démons qui font cuire des humains, des hommes soumis aux plus vils formes d'esclavage, des diables ailés, des dragons, le tout animé de manière brute, maladroite et enfantine qui apporte à la scène une ambiance des plus malsaine et dérangeante. Le réalisateur, qui n'hésite pas à directement apostropher le spectateur, nous invite à observer dans cette scène qui regorge de milliers de détails, le zèle des diablotins qui s'occupent du feu (en dessous de la marmite dans laquelle on y fait cuire un corps humain). Dantesque. Le film évoque plusieurs autres sujets toujours en lien avec la sorcellerie tels que la confection d'un philtre d'amour, la folie collective d'un groupe de nonnes dans un couvent qui se lancent dans une danse effrénée, une présentation des objets de torture que l'on utilisait pour faire parler les sorcières, un procès de sorcière...
Je tiens également à évoquer la musique du film écrite par Bardi Johannsson et interprétée par le Bulgarian Chamber Orchestra. Cette bande-son apporte à l'oeuvre une identité, une empreinte des plus magnifique, vacillant en permanence entre le dramatique et le joyeux, avec une retenue et une classe rappelant Eric Satie. Cette musique se prête beaucoup mieux au propos que l'horrible free jazz proposé dans la version de 1968 (également présente sur le DVD) qui ne colle aucunement aux images et qui créé un décalage que j'ai trouvé incompréhensible. Certes, cette version free-jazz est accompagnée de la voix en off de l'écrivain William S. Burroughs, cependant, elle n'arrive pas à la cheville de la version revisitée par Johannsson.
Pour conclure, nous sommes les témoins à travers Häxan, de la peur de l'inconnu, qui a créé petit à petit cet engrenage répressif qui a envoyé aux bûchers des milliers de femmes innocentes entre le Moyen-âge et la Renaissance. Une belle évocation et dénonciation de la folie religieuse. Lors de sa sortie, le film fut banni dans de nombreux pays, à cause des représentations plus qu'explicites qu'il impose, entre des nonnes qui sont à la fil pour embrasser le postérieur du diable, la nudité et les représentations démoniaques diverses, le film souleva un tonnerre de critique, et il reste, même 90 ans après sa sortie, une des œuvres les plus bizarres et dérangeantes du cinéma.
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