Quand l’on aborde La Source de Bergman, c’est très fréquemment pour en souligner son rôle de pionner dans le Rape & Revenge. Ce genre voire sous-genre cinématographique souvent décrié, repose sur une construction spécifique. La première partie relate un viol tandis que la seconde décrit la revanche donc de la victime et/ou de ses proches, de manière tout aussi brutale si ce n’est plus que l’agression initiale.
On pourra citer dans les œuvres principales de Rape & Revenge La Dernière Maison sur la Gauche de Wes Craven, I Spit on your Grave de Meir Zarchi, Irréversible de Gaspar Noé ou encore The Woman de Lucky McKee dont on vous reparlait cette semaine. Tous plus ou moins lointainement inspirés de La Source, jouant sur la dichotomie entre civilisation et pulsions. Mais revenons-en au film en lui-même. Inspiré d’un conte moyenâgeux suédois, le film débute alors que Töre, riche paysan, envoi ses deux filles, Karin la légitime et Ingeri l’adoptée, porter des cierges à l’église voisine. En route, les sœurs vont faire la rencontre inopportune de deux bergers violant et assassinant la jeune Karin. S’en suivra alors la vengeance du père, fou de douleur.
La Source est un Bergman assez étonnant par sa linéarité scénaristique. Les critiques lui ont reproché à sa sortie son propos confus, alors que le réalisateur filme dans un laps de temps court (deux jours) ainsi que dans une économie de décor certaine annonçant déjà le dépouillement futur de ces œuvres. Il n’aborde pas non plus ici une multitude de thèmes, se concentrant plutôt sur un de ses sujets de prédilection : la religion. Et plus particulièrement sur l’opposition des dogmes dans un pays en transition, un pays aux croyances païennes adhérant progressivement à la chrétienté.
Cet antagonisme se trouve personnifié par les deux sœurs. Là où Karin incarne par sa blondeur et sa douceur l’innocence de la vierge, Ingeri, enceinte d’un inconnu et priant Odin, représente un obscurantisme nocif. Et c’est en effet bien elle qui par jalousie utilise la sorcellerie pour jeter un mauvais sort à Karin juste avant son viol. Seulement chez Bergman il n’est pas question de prosélytisme mais de doutes et d’interrogations. Car quand le père se purifiera avant d’accomplir le meurtre final, on ne sait plus très bien à quel Dieu il s’adresse. Ni lorsque qu’il déclame son dialogue final. Et que dire de la source qui jaillit là où le péché originel est commis ? S’il est question de manifestation divine, sa parenté reste sujette à débat.
Ne sachant plus, sans mauvais jeu de mots, à quel saint se vouer, le cinéaste réinterroge alors plus globalement les notions de bien et mal. Car la vengeance sans concession de Töre, allant jusqu’à l’assassinat de l’enfant accompagnant les bergers, ne trouve pas plus de justification morale que le viol de Karin.
La Source, par sa violence et ses questionnements, est donc un film troublant. Il joue avec notre conscience en tant que spectateur, ne livrant que peu de réponses face aux ignominies de l’Homme, si ce n’est peut-être la rédemption. Car seul de Dieu, quel qu’il soit, viendra le salut. Une réflexion que Bergman abandonnera plus tard dans sa filmographie, notamment avec Les Communiants qui marquera son éloignement de la religion.