Un peu comme "Le Conformiste", "La Stratégie de l'araignée" traite de manière très singulière un aspect lié à l'histoire fasciste de l'Italie. L'approche de Bernardo Bertolucci est aussi directe qu'elle peut être déroutante tant elle est bizarre. Une partie de l'intérêt du film tient au chemin que l'on parcourt aux côtés du protagoniste, qui enquête sur la mort de son père, en 1936, puis à la figure héroïque de l'anti-fascisme qu'il devint par la suite. À mesure que le mystère s'éclaircit (après s'être obscurci dans un premier temps), à mesure que l'on prend connaissance de la troublante mystification à l'œuvre depuis trente ans, le film perd en intérêt ce que la figure du père gagne en ambiguïté.
C'est un peu le problème du film à twist, même s'il n'est pas seulement question de cela ici, loin de là. La vérité n'est par ailleurs pas connue avec certitude à la fin du film (il me semble en tous cas). Mais de cette ville remplie "de vieillards, de fous, et de vieillards fous", de cette atmosphère étrange, à la dimension légèrement fantastique bien entretenue, accouche une découverte un peu faiblarde : derrière une grille de lecture un peu simple opposant résistants et fascistes se tramait une réalité plus complexe, un machiavélisme politique certes inattendu mais un peu laissé en friche dans son analyse.
La toile du titre est sans doute celle dans laquelle se retrouve le personnage principal, perdu dans cette ville fantôme, coincé entre passé et présent, errant au milieu des mensonges et des non-dits. Pour appuyer cette atmosphère baignant dans l'incertitude, Bertolucci entremêle les époques en introduisant des flashbacks de manière impromptue et en y insérant trente ans avant les mêmes personnages (acteurs) qui constituent le présent du récit. On est très souvent perdu, le père ressemblant comme deux gouttes d'eau au fils (et pour cause, c'est le même acteur avec un foulard rouge en plus) : le labyrinthe est temporel, géographique, protéiforme, et il pourra dérouter.
La question de la vérité face à la nécessité du mythe reste bien amenée, et le protagoniste le réalisera en même temps que le sectateur, alors qu'il s'apprêtait à dévoiler le stratagème politique ignoré des villageois. Traître ou héros ? Primauté de l'être ou de l'apparence ? Affronter le fascisme par la rébellion armée ou le miner idéologiquement ? Autant de thématiques séduisantes avec lesquelles Bertolucci se plaît à jouer.
[AB #205]