Paul Grimault est et a toujours été associé au Roi et l'oiseau, maître-étalon de l'animation française (1980). Néanmoins, il n'est que l'arbre qui cache la forêt et quoi de mieux que Grimault lui-même pour présenter son travail ? C'est le but de La table tournante, film où il apparaît pour présenter une bonne partie de ses courts-métrages, en compagnie de ses personnages animés.
Jacques Demy filme alors le réalisateur discutant avec ses "créatures" dans son studio et voit sa carrière défiler durant environ 1h20. Le réalisateur des Demoiselles de Rochefort se contente de filmer Grimault, il n'y a pas d'interaction entre les deux réalisateurs. Demy se présente davantage comme un yes man, le film étant avant tout celui de Grimault et à son effigie. Le mélange entre prises de vues réelles et animation fonctionne, car on croit au dialogue entre le réalisateur et les personnages.
Pour le reste, La table tournante se présente comme un véritable travail rétrospectif et il n'est pas étonnant que Studio Canal a préféré mettre ce film en bonus du blu-ray du Roi et l'oiseau plutôt que les courts-métrages seuls. Les courts ne sont pas tous égaux en terme de qualité, mais ils permettent de voir que la filmographie de Grimault ne repose pas que sur un seul film. Certains vont clairement dans le cartoon (Les passagers de la grande ourse, L'épouvantail en 1943) quand d'autres vont vers un registre beaucoup plus sérieux (Le petit soldat, Le diamant).
On peut également voir des choses qui finiront dans son film phare, comme les policiers aux trousses du Voleur de paratonnerres (des ébauches des sbires du Roi qui ne sont pas sans rappeler les Dupondt d'Hergé) ; ou la tendance au conte et à la science-fiction pour développer ses idées. Car Le Roi et l'oiseau n'est pas le seul exemple de science-fiction dans sa filmographie. Le diamant (1970) se présente comme un film post-apocalyptique avec un méchant en quête de jeunesse éternelle (dont le look fait penser à celui d'un vampire). Le diamant appartient à une tribu et l'homme d'affaires fait tout pour l'avoir, quitte à amadouer la population avec des parapluies dont ils se contrefoutent. Alors on opte pour la radicalité. Une manière comme une autre de parler du colonialisme, qui plus est à une époque où il perdait du terrain. Produit trois ans plus tard, Le chien mélomane (1973) montre un violon qui fait tout exploser en fonction des notes réalisées. Grimault montre un monde prêt à se détruire de toutes parts, jusqu'à ce qu'il ne reste que des cendres.
Bien avant La Bergère et le Ramoneur (la première version du Roi et l'oiseau), le cinéma de Paul Grimault avait déjà eu son lot de poursuites. Les passagers de la grande ourse (1943) montre un héros essayant tant bien que mal de retourner sur un bateau. Le voleur de paratonnerre (1946) est une course contre la montre avec un héros allant de toit au toit pour ses larcins. Pourquoi des paratonnerres ? Aucune idée, mais il semble s'amuser comme un petit fou, comme le spectateur en le voyant narguer un chien, puis les deux policiers.
Quant à La flûte magique (1946), il confronte là aussi un despote à un jeune garçon voulant seulement faire de la musique et dont la vengeance sera spectaculaire. On pense inévitablement au Joueur de flûte, les rats et les enfants en moins. Puis la conclusion est l'occasion d'une poursuite endiablée.
Le petit soldat (1948) est une adaptation d'un conte d'Hans Christian Andersen (Le Stoïque soldat de plomb, 1838) et même si des libertés sont prises (notamment sur la fin qui passe du chaud au froid), Grimault s'en sort bien et opte même pour une allusion à la guerre. Le monde sort de la Seconde Guerre Mondiale (même si elle n'est pas nommée), le petit soldat est un vestige de la guerre, appelé et en ressortant avec une jambe brisée. Le temps passe, tout n'est qu'un désert de neige (là encore une vision d'apocalypse) et seul l'amour semble réchauffer les cœurs. Au passage, le film suggère qu'il s'agit de l'un de ses travaux les plus chers et c'est peut-être aussi pour cela qu'il apparaît comme l'apothéose du métrage.
La table tournante est donc une sacrée odyssée dans l'animation française à travers l'un de ses plus grands artisans. Une compilation d'œuvres peut-être, mais surtout le travail de toute une vie.