Pas de poursuites trépidantes (encore que ...) dans la Taupe, pas de playmates torrides mais des silhouettes sans charme (ou absentes, comme la femme de Smiley), pas de gadgets électroniques ni de super héros invincibles... On est dans l'univers de John le Carré, de 'L'espion qui venait du froid, d'un espionnage "réaliste" où le gris l'emporte - gris comme la robe de chambre de Control, comme l'imper de Smiley, comme le ciel et les rues de Londres, comme les murs du Cirque (une version du MI6 moins glamour que dans un james Bond), avec les alignements de fenêtres sur des hautes façades assez sinistres.
Qu'on ne s'y trompe pas - cela reste du cinéma et du meilleur : le décor est sinistre mais l'image est d'une grande beauté formelle, les espions du film n'ont pas exactement la tête de M. Tout-le-monde, (Toby Jones, Ciaran Hinds, Mark Strong, John Hurt et tous les autres) et les codes du film d'espionnage tendance le Carré sont aussi détournés, par moments: dans les épisode soviétiques (où l'on retrouve poursuites et temps de pure violence) et plus encore dans l'extraordinaire séquence, qui ouvre le film. On assiste, médusés, à un véritable duel de western dans une rue de Budapest ; tout y est : le temps suspendu par la confrontation des gros plans sur les visages, les détails insérés porteurs de tension, une goutte de sueur qui s'écrase sur la table, une chaise qui tombe, le dialogue qui s'interrompt, longtemps , et surtout tous les regards qui convergent vers le même point, vers Jim Prideaux (Mark Strong), pris dans le piège, dans la toile, tous ces regards qui se dérobent avant le coup de feu final.

Cette scène s'inscrit dans un prologue magistral d'une vingtaine de minutes, en trois mouvements, où tout est dit et constitue une magistrale leçon de cinéma - ou comment traduire par des plans , par des mouvements de caméra, par des effets de montage tout ce que le roman traduit par des mots, qui chez Le Carré ne sont pas immédiatement cinématographiques. La construction même du prologue est éloquente : trois moments donc, chronologiques, trois lieux symétriques (la maison de Control/Budapest - les locaux du Cirque - les rues de Londres/la maison de Smiley). Celui-ci (Gary Oldman) est absent du premier mouvent, centré sur Control (et Prideaux) mais il est seul (après la mort, presque subliminale de Control) dans le troisième mouvement, alors qu'ils se retrouvent tout les deux face aux autres dirigeants du cirque après le désastre de Budapest dans le second mouvement. Cette rencontre constitue, dans les locaux du Cirque, un affrontement certes plus feutré mais presque aussi violent que le duel de Budapest entre les espions du MI6. L'éviction, l'élimination de Control (John Hurt) et de Smiley est rendue, physiquement, par divers procédés particulièrement remarquable : des modifications de focale sur la profondeur de champ permettant de rayer de l'image (par un flou imparable) le personnage visé, des contre-plongées vertigineuses sur les exclus, le passage de voitures, de divers véhicules, de piétons anonymes masquant régulièrement les silhouettes de Smiley et Control (ce même procédé avait été utilisé dans la première partie, dans les rues de Budapest masquant successivement Jim Prideaux et son "contact", laissant imaginer une suite incertaine).

La troisième partie centrée sur le seul Smiley est encore plus remarquable : vieux, voûté, seul, totalement gris après son renvoi, déambulant sans but dans les rues de Londres, Smiley se réveille un matin avec une vision décisive - celle d'un dossier (celui de Budapest et de la Taupe), glissé dans un monte-charge (qui peut évoquer un four micro-ondes ou une guillotine), confiné dans l'oubli (l'image passe au noir) - que l'on ressort d'un seul coup, que l'on rouvre ... La mort simultanée de Control, physique et plus encore symbolique, ouvre dès lors l'espace de Smiley. Il va reprendre le dossier. Il se redresse (des variations légères mais évidentes, toutes en nuance, portées par le jeu subtile de Gary Oldman), sa marche est assurée, change de lunettes (magnifique gros plan sur un oeil qui désormais peut voir*). Le prologue s'achève dans la maison de Smiley, vide, où il se retrouve en face d'un tableau abstrait, une manière de labyrinthe - l'image de tout le film à venir.

Dans ces conditions on comprend facilement que l'énigme (qui est la Taupe ?) n' a pas vraiment d'intérêt - chacun des quatre pourrait être le traître infiltré, et cela n'a pas grande importance - pas plus que les déambulations de Jim Prideaux après son retour d'URSS (pas le meilleur du film) ni que la résolution finale de l'enquête.

L'intérêt majeur du film réside dans la description remarquable de ce monde à la fois puissant et pathétique du contre-espionnage; ce monde là n' a rien à voir avec la vie ni avec le monde : les espions n'ont pas d'autre but que de traquer (parfois à mort) les espions qui les traquent , et l'histoire est en boucle. Tout cela n'est que dérisoire, la fin de ce monde est proche.- et la totale maîtrise du récit filmique finit par rendre fascinant ce dérisoire.

* Cette référence à la vue de Smiley permet de trouver un prétexte moins nul au calembour du titre de cette critique (une allusion totalement gratuite et hors sujet à un personnage de Tintin en Amérique) ;

Bien plus dans le sujet : la série The Hour, peut être encore meilleure, est écrite dans un esprit très voisin de celui de la Taupe, un récit brillant, constamment sous tension, porté par trois comédiens en état de grâce.
pphf

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7
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