Borzage a réalisé ce petit bijou cinématographique en 1940. A cette époque, bien des gens avaient fui l'Allemagne nazie et les informations circulaient déjà sur ce qu'il s'y passait.
Le film démarre le 30 janvier 1933 qui est à la fois la date anniversaire du professeur universitaire Roth célébrée en grande pompe par ses élèves, ses collègues et celle de la prise de pouvoir d'Hitler. L'action du film ne dépasse pas le début de 1938, date de l'Anschluss puisqu'on pouvait encore se réfugier en Autriche. Mieux, on voit que la police politique est aux mains des SA. Le film se termine bien avant juillet 1934, date de "la nuit des longs couteaux"…
Ce qui est bien rendu dans le film est l'engouement immédiat de la majorité de la population pour le nouveau régime, élu démocratiquement, qui avait une bonne connotation populiste et qui ne tardera pas à mettre en place les outils de contrôle de la population et à commencer à parler de répression des juifs. De ce point de vue, le film me semble bien conforme à la réalité de l'époque. Un point qui m'a paru convaincant est l'évolution rapide du régime sur le respect de la propriété privée entre le lynchage dans la rue du vieux maître au début et la scène de torture d'Elsa à l'intérieur de la maison à la fin.
L'effondrement des valeurs se traduit dans le film par la négation de la connaissance objective ; en l'occurrence, la physiologie qu'enseigne le vieux professeur Roth. Il se traduit aussi symboliquement par la perte des traditions qu'on voit, en creux, dans l'histoire du verre des jeunes mariés dans la famille de Martin.
On n'attend pas moins de Franck Borzage que naisse de ces décombres un amour pur entre Martin, un fermier pacifiste, interprété par James Stewart qui ne veut pas d'un monde de haine et Freia, la fille du professeur Roth, interprétée par Margaret Sullavan, horrifiée du changement de caractère de son fiancé devenu un petit nazillon fanatique.
James Stewart qu'il me semble impensable de voir dans un autre rôle que celui qu'il endosse est excellent. Avec sa réserve habituelle, sa fermeté face à l'engouement de ses amis pour la nouvelle Allemagne et son dévouement pour les autres.
Margaret Sullavan dans le rôle de Freia. Comme par pur hasard, dans "Der Ring des Nibelungen", Freia est le symbole de l'amour ! Ah Margaret Sullavan, l'inoubliable Patricia des "Trois Camarades" du même Borzage. Ici, elle est juste sublime dans son comportement vis-à-vis de son père, de ses amis. Idéaliste, elle espère en un monde sans haine mais voit avec désespoir "la tempête tout emporter" …
L'ex-fiancé de Freia, Fritz, est interprété par Robert Young. Lui aussi est un des "trois camarades" avec Franchot Tone et Robert Taylor…
Et puis le rôle d'un des frères de Freia est joué par un Robert Stack à ses débuts … Un peu plus joufflu, peut-être …
Une merveille que je ne sais (= veux) pas départager avec "trois camarades", qui commençait déjà en 1938 à aborder au cinéma l'avènement du nazisme.