LA TERRE ET L’OMBRE est un film poétique, comme son titre qui symbolise nos racines et nos démons…
Dans ce premier long métrage prometteur, César Acevedo nous parle d’un homme (Alfonso) qui a abandonné sa famille et sa terre d’origine, refusant de voir cette dernière défigurée par le développement de l’industrie sucrière. 17 ans plus tard, contraint d’y revenir pour soutenir son fils condamné par la maladie, le voici confronté à son passé, à sa culpabilité, à la désolation des paysans qui sont restés là-bas mais aussi aux décisions à prendre pour aider les siens à s’en sortir.
Avec LA TERRE ET L’OMBRE il y a peu de dialogues. Tout se passe à travers les images. Et c’est là que réside le talent de César Acevedo : réussir à nous imprégner d’une atmosphère, à nous transmettre des idées et des sensations essentiellement par le biais d’une réalisation simple mais personnelle. C’est d’ailleurs sans doute cette force qui lui a valu le prix de la Caméra D’or au Festival de Cannes 2015.
En effet, dès les premières secondes, nous voici plongés dans une atmosphère intimiste au cœur de sa Colombie natale, dans un microcosme composé d’une petite maison et d’un arbre aussi majestueux que symbolique, cernés de champs de cannes à sucre. Très vite, on ressent une sensation d’étouffement dont l’origine est multiple. D’abord parce que le brûlage et l’exploitation de ces champs provoquent une pluie de cendres continue qui oblige cette famille à vivre volets et fenêtres fermés afin de se protéger. Ensuite, parce que ces êtres sont aussi prisonniers de leurs sentiments – du chagrin, de la colère ou de la culpabilité qui les empêchent, au départ, de renouer des liens en dépit de l’urgence. Il en résulte un climat pesant dont le but est de nous faire partager le malaise des cinq protagonistes, subitement contraints à une proximité difficile à assumer tant physiquement qu’émotionnellement. A tout cela vient s’ajouter une tension politique : celle des paysans déçus et en colère ayant cru à un progrès industriel qui a fini par ruiner le sol de cette région, autant que ses habitants (dont Alicia, son fils Gerardo, et sa belle-fille). Ces derniers ont choisi de défendre leurs racines, leur identité, leur terre (plutôt que de la fuir avec Alfonso), et luttent chaque jour en ce sens, avec courage et dignité, au péril même de leur santé et de leur famille. Le paysage apocalyptique révèle cependant que cette terre-là ne renaîtra pas de ses cendres et que ce combat est vain.
L’empathie résulte ainsi à la fois de ces images de désolation pour ce qu’elles représentent dans et hors de la maison, mais aussi de l’utilisation de cadrages très serrés qui assurent le côté intimiste du film (sur le regard des protagonistes qui semblent parfois se planter dans le notre, sur leurs gestes, sur ce qu’ils touchent, au point que l’on a l’impression de vivre avec eux).
Dans la première partie, l’impassibilité de ces êtres enfermés physiquement et moralement nous est ingénieusement signifié à travers de longs plans fixes des protagonistes de dos. Ces scènes, simples mais puissantes, nous renvoient à la paralysie dans laquelle ils se trouvent : impuissants face à l’avenir de leur fils et de leur terre. Positivement, cela symbolise aussi une présence, une résistance, mais également le temps de réflexion et d’immobilisme nécessaire avant de prendre une grande décision.
Dans une seconde partie, les liens se renouent irrémédiablement par amour, solidarité et nécessité. Lentement, César Acevedo laisse renaître l’espoir, les émotions, les sensations, sous le regard bienveillant de sa caméra. Il y a de la beauté et de l’amour dans ce film en dépit de la noirceur des cendres qui l’entoure. Une douceur et une tendresse palpables au travers des images, sans grands discours. Le réalisateur induit subtilement le mouvement d’ouverture des personnages en les rendant plus humains. C’est le cas par exemple lorsqu’il filme les gestes de cette « mamma », sa peau mate et plissée par l’âge. Du seul caractère endurci visible au départ, on glisse vers une douceur et une chaleur qui nous rappellent celles de nos grands-mères. La tendresse est quant à elle principalement introduite par le biais de ce grand-père qui revient plein de bonne volonté, dépasse sa culpabilité et tente de renouer des liens entre les trois générations. Il tente plus particulièrement d’aider le petit fils adorable, courageux et émouvant qu’il découvre.
Lors de l’élaboration de ce long métrage, le réalisateur a dû abandonner le côté autobiographique qu’il souhaitait initialement, réalisant que cela aurait tenu le spectateur trop à l’écart et conduit à un échec. Fort de cette expérience personnelle, Acevedo nous démontre avec LA TERRE ET L’OMBRE que l’attachement à ses racines peut aussi bien nous entraîner vers le fond que vers la lumière. On peut en effet se perdre lorsque l’on s’acharne à vouloir préserver quelque chose qui nous est cher mais qui est voué à disparaître (comme Alicia), alors qu’il est parfois préférable de partir avec de beaux souvenirs… Il en va de même pour les racines «familiales » qui peuvent aussi bien nous empêcher d’avancer – d’un côté l’attachement de Gerardo à sa mère l’empêche de quitter cet endroit néfaste et sans avenir. D’un autre côté, c’est bien l’attachement éternel d’Alfonso à sa famille qui le poussera à revenir sauver ceux qu’il pourra de cette impasse.
Porté par des comédiens (la plupart dans leur premier rôle) d’un naturel confondant qui nous donnent l’illusion de vivre cette « tranche de vie » avec eux, ce film recèle de nombreuses qualités. Il reste, certes, sur un registre classique, mais réalisé avec talent et singularité. Le seul bémol est que le rythme pêche un peu et entraine une longueur nuisible au tout. En effet, si la lenteur se justifie parfaitement au début, inhérente à l’atmosphère et à l’état d’immobilisme des personnages, le réalisateur n’a pas su impulser au film l’accélération des sentiments imposée par les événements. Dommage car il nous laisse sur une légère note de lassitude en lieu et place d’une émotion.
Critique de Stephanie pour Le Blog du Cinéma