Voir le film

C'est l'injustice, la malédiction que dénonce implicitement le film. Lequel nous donne une lecture pessimiste et marxisante de ce temps (1945-1948) et de ce lieu (un pauvre village de pêcheurs siciliens sis entre Catane et Syracuse).
La démonstration ne paraît plus totalement convaincante aujourd'hui : avec du travail, du bon sens et, oui, un peu de chance, on peut échapper, même si d'origine très modeste, à la misère et à l'exploitation inique. En tout cas, j'aime à le croire.


Sorti en 1948, alors que l'Italie et le reste de l'Europe se remettent à peine des morts et autres ravages occasionnés par la Deuxième Guerre Mondiale, La Terre tremble est le deuxième opus de Visconti. Tourné en noir et blanc et en dialecte sicilien sous-titré, ce film (comme le tout premier du réalisateur italien : Ossessione - 1943), est une pierre angulaire du néo-réalisme italien (qui s'épanouit de 1943 à 1960).
Par son esprit et climat, par sa recherche de la vérité dans chaque geste de ses personnages, et aussi par une sorte d'esthétisme poétisé, La Terre tremble tranche avec tous les grands films viscontiens qui suivront... à l'exception peut-être de Rocco et ses frères.
C'est un film foncièrement triste et pourtant merveilleux. La révolte de cette famille de pauvres pêcheurs (contre les grossistes qui, propriétaires des outils de production : les bateaux de pêche, fixent au plus bas les prix du poisson) est magnifique et poignante. Oui, tout pauvres et démunis qu'ils soient, ces jeunes pêcheurs (Ntoni et ses plus jeunes frères : Cola, Vanni, Alfio) et leur mère, leurs soeurs sont magnifiques, transcendés par leur courage... comme par la caméra, la lumière, les cadrages, le noir et blanc du film.
Même victimes d'un sort contraire, vaincus et rendus encore plus pauvres qu'ils n'étaient après la faillite de leur petite "entreprise", ils gardent, presque tous, leur noblesse, une sorte de pureté, de beauté poétique dans leurs gestes et attitudes. Et c'est ce qui frappe et qu'on aime dans la relation de ce drame : ce mélange de tristesse noble et de beauté déchirante.


Ce qui, cinématographiquement parlant, m'a gêné, que j'ai regretté ? L'impasse faite sur la tempête en mer qui casse et rend inutilisable leur outil de travail : la grande barque dans laquelle ils ont investi toute leur fortune ou quasiment. J'aurais aimé vivre cette tempête. J'aurais aimé voir ces gars (qui sont de vrais pêcheurs siciliens et pas des acteurs professionnels) la combattre de toutes leurs forces, quitte à perdre finalement la partie.
Et je ne comprends pas pourquoi ils n'essaient pas ensuite de réparer leur barque (aidés au besoin par des camarades pêcheurs), pourquoi il n'y a aucune solidarité entre tous ces pauvres gens (et même le contraire). C'est entendu, c'est voulu par le scénario (qui a certainement une dimension de parabole existentielle), mais... ça me gêne. Je trouve ça trop clairement démonstratif (de l'idéologie marxiste : les pauvres ne peuvent rien s'ils ne mettent pas leurs forces en commun, s'ils n'optent pas pour le communisme).


Quoi qu'il en soit, c'est un très beau film... peut-être un peu statique.
Sans révéler sa fin, je citerai quand même les mots (prononcés par la voix off) sur lesquels il se clôt : "La mer est amère et le marin y meurt".
Mais la défaite et la mort, n'est-ce pas ce par quoi se conclut toute vie ?

Fleming
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de Luchino Visconti et Les meilleurs films italiens

Créée

le 1 juil. 2019

Critique lue 252 fois

5 j'aime

3 commentaires

Fleming

Écrit par

Critique lue 252 fois

5
3

D'autres avis sur La terre tremble

La terre tremble
Fleming
8

Pauvre on naît, pauvre on meurt

C'est l'injustice, la malédiction que dénonce implicitement le film. Lequel nous donne une lecture pessimiste et marxisante de ce temps (1945-1948) et de ce lieu (un pauvre village de pêcheurs...

le 1 juil. 2019

5 j'aime

3

La terre tremble
Morrinson
8

"La mer est amère et le marin y meurt."

Que ce soit chez Visconti, Pasolini ou Rossellini (liste non-exhaustive), je me suis rendu compte au gré des confrontations que ma préférence va très clairement aux veines néoréalistes respectives de...

le 4 déc. 2022

4 j'aime

La terre tremble
William-Carlier
8

Quand la mer en fait des siennes...

Se rapprochant du réalisme, La terre tremble est un film qui transpire le désespoir. Celui d'un pêcheur travaillant jour et nuit pour la survie de sa famille, et pour mener un semblant de vie...

le 4 déc. 2021

3 j'aime

Du même critique

Le Sommet des dieux
Fleming
7

Avec la neige pour tout linceul

J'ignore à peu près tout des mangas. Je n'aime généralement pas les films d'animation, les dessins retirant, selon mon ressenti, de la vérité au déroulement filmé de l'histoire qu'on regarde. Et je...

le 25 sept. 2021

37 j'aime

19

Amants
Fleming
5

On demande un scénariste

J'ai vu plusieurs films réalisés par Nicole Garcia. Le seul qui me reste vraiment en mémoire est Place Vendôme que j'avais aimé. Elle, je l'apprécie assez comme actrice, encore que je ne me souvienne...

le 17 nov. 2021

33 j'aime

16

BAC Nord
Fleming
6

Pour les deux premiers tiers

Les deux premiers tiers du film sont bons, voire très bons, en tout cas de mon point de vue. J'ai trouvé ça intéressant à regarder et à suivre. Et même passionnant. Est-ce outrancier ? Je ne connais...

le 17 août 2021

33 j'aime

19