Que ce soit chez Visconti, Pasolini ou Rossellini (liste non-exhaustive), je me suis rendu compte au gré des confrontations que ma préférence va très clairement aux veines néoréalistes respectives de ces cinéastes emblématiques. Ce n'est manifestement pas au travers de ce registre qu'ils ont su se démarquer, entre eux, et imprimer durablement la rétine ou marquer les esprits (des films iconoclastes comme Le Guépard, Salo ou les 120 Journées de Sodome et Les Onze Fioretti de François d'Assise peuvent par exemple en témoigner) mais c'est dans cet écrin que sont nés les plus beaux drames d'après-guerre à mes yeux.
Dans un premier temps au moins, la particularité la plus proéminente de La terre tremble a trait à sa distribution, entièrement composée d'acteurs non-professionnels, plus précisément de pêcheurs s'exprimant dans leur langue régionale et racontant en quelque sorte leur quotidien sicilien dans un coin rural et littoral d'Italie. Il s'en dégage une authenticité franche, au-delà de la mise en scène minimale nécessaire, et une composante documentaire qui peuvent trouver de nombreux échos fertiles dans tous les courts-métrages des années 50 de Vittorio De Seta (de "vrais" documentaires en l'occurrence, qui abordaient le quotidien de mineurs, de paysans et, entre autres, de pêcheurs). Cette histoire complète le tableau de la Sicile à côté de très beaux films comme Les Fiancés ou encore Mafioso.
La chronique familiale de Rocco et ses frères rencontre ainsi ici l'univers de la pêche à travers l'histoire d'un petit village où la subsistance d'une famille pauvre est menacée par le monopôle des mareyeurs. Les pêcheurs ont beau se tuer à la tâche, avec enfants et vieillards mis à contribution en mer, c'est cet intermédiaire qui constitue le goulot d'étranglement en tirant les prix du poisson vers le bas et en maintenant à ce titre une forme d'exploitation quasi-esclavagiste. C'est le fils aîné, amoureux d'une fille issue d'une classe plus aisée, qui poussera ses proches à devenir indépendants et à monter leur propre entreprise après avoir fédéré la colère des travailleurs locaux — très beau plan où l'on jette la balance des grossistes à la mer. Le geste est beau et nourrit des espoirs fondés, mais le bonheur sera on s'en doute un peu de courte durée.
Il y a très peu de place pour l'illusion de réussite dans La terre tremble. On ne s'échappe pas si facilement de sa condition chez Visconti, la réalité sociale claque comme des coups de fouet et l'angoisse de la misère tout comme de la mort en mer est partout — "La mer est amère et le marin y meurt", comme l'exprimera une femme lors d'une tempête. Quelques références à l'époque moderne ancrent la fiction dans le réel, avec le symbole de la faucille et du marteau sur un mur décrépi ou encore une citation de Mussolini au-dessus du bureau d'un exploiteur satisfait. Peinture cruelle d'un échec implacable, c'est un film qui n'offre pas de porte de sortie salvatrice : la solidarité y est presque inexistante, l'absence de figure libératrice est tragique, et celui qui lutte semble enfermé dans une solitude amère. Un échec à dépasser, un honneur à ravaler, et en définitive une rébellion payée au prix le plus fort.
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