J’avoue que j’ai été complètement happé par le film, dès les premières images. Son atmosphère mélancolique, ses images qui privilégient la lumière, ses moments suspendus, la douce tristesse qui se dégage de l’ensemble… Ce n’est qu’après que je compris que le réalisateur de La Tour au-delà des nuages, c’était le même réalisateur que Your Name, que j’avais beaucoup apprécié, et qu’il avait aussi signé plusieurs films qui m’attirent beaucoup (entre autres Cinq centimètres par seconde, Agartha et Garden of words).
D’abord, il y a le contexte. Le japon est divisé en deux (la Scission). Hokkaido (la plus septentrionale des quatre grandes îles principales de l’archipel) est devenu un pays à part, l’Union. Et sur son territoire s’élève une impressionnante tour d’une hauteur vertigineuse.
Le récit va s’enrouler autour de cette tour, élément narratif qui va être chargé de multiples significations.
Ainsi, dès le début, la tour va servir d’horizon onirique pour les trois personnages principaux. Nous avons donc deux lycéens, Hiroki et Takuya, qui sont en train de construire, en douce, un avion. Pour eux, la tour est une sorte de rêve, d’ambition qui leur permet d’avancer. Elle est le but qu’ils se sont fixés : voler jusqu’à la tour. La construction qui s’élève vers le ciel est alors à l’image des rêves de deux personnages dans cette zone indistincte entre enfance et âge adulte, deux jeunes qui apprennent à se débrouiller par eux-mêmes et développent leur sens des responsabilités. Elle est le moteur de la transformation des protagonistes.
Elle est aussi le moteur de leurs retrouvailles. En effet, lorsque les deux personnages, plus âgés, seront séparés, c’est ce rêve commun de voler jusqu’à la tour qui va les réunir. C’est autour d’elle qu’ils vont souder à nouveau leur duo d’inventeurs précoces.
C’est tour est donc le rêve d’enfance qui poursuit des personnages devenus adultes. Le film est construit en flashbacks, racontés par les personnages plus âgés. Il est donc habité de cette mélancolie, de ces regrets face aux rêves d’enfance disparus sans être accomplis. C’est cette nostalgie qui donne aux image d’enfance cette coloration nostalgique, cette lumière, cette insistance sur des moments disparus, cette impression de précarité… A cette mélancolie, représentée par la tour, il est impossible d’échapper : Hiroki part jusqu’à Tokyo pour poursuivre ses études, pensant que, là-bas, elle serait loin de sa vue, mais il est toujours possible de la voir, et lorsque son regard croise l’immense construction, c’est la tristesse qui l’envahit.
A eux deux va s’agréger une jeune demoiselle, Sayuri. Pour elle, la tour représentera aussi les rêves, mais d’une autre façon. Non pas le rêve éveillé, mais celui que l’on fait en plein sommeil. Et le sommeil de Sayuri va être plutôt long, puisque, de façon inexpliquée, elle va dormir pendant trois ans. La tour est alors celle qui sépare…
Depuis le début, la tour représente tout ce qui divise (sans que cela contredise les autres symboles possibles). Elle est le symbole des divisions entre les états, puisque c’est autour d’elle que va se passer le conflit entre l’Union et le Japon, et elle devient alors la figuration des nombreux conflits qui se sont déroulés dans la région (comment ne pas penser à un état voisin du Japon et, actuellement,vraiment divisé en deux ?).
Elle va aussi représenter ce qui divise les personnages. A l’âge adulte, les trois protagonistes sont désespérément seuls, en particulier Hiroki et Sayuri. Celle-ci semble enfermée dans un rêve perpétuel depuis trois ans, un rêve qui est lié à la tour elle-même. Quant à Hiroki, il la cherche sans cesse dans ces mêmes rêves, il sent sa présence mais ne parvient pas à la rejoindre. Or, ce sommeil mystérieux, ces rêves répétés, sont tous liés (on ne sait trop comment) à la tour…
La tour a une troisième fonction dans le film : c’est elle qui apporte le mystère. A quoi sert-elle vraiment ? Comment est-elle construite ? On apprend juste quelques éléments de détails, comme le fait que la tour soit liée à des univers parallèles, et que son concepteur n’est autre que… le grand-père de Sayuri.
C’est donc l’aspect SF qui s’ajoute là aux autres déclinaisons de la tour. Ainsi, un seul élément narratif combine plusieurs significations, qui permettent toutes au film d’aborder différents aspects, différentes ambiances, sans perdre son unité.
Je l’admets, face à un tel univers, on était en droit d’attendre une action un peu plus développée. Je dirais même que, finalement, c’est dans les moments plus contemplatifs, où l’action est absente, que le film est le meilleur. Il peut alors s’intéresser à ce qu’il réussit le mieux, son atmosphère tour à tour énigmatique et mélancolique (ce sont ces scènes-là que je préfère, les errances oniriques de Sayuri et Hiroki, la chaude et lumineuse nostalgie de l’enfance, les moments suspendus…).
A noter aussi que la musique est superbe.