A la fois un énorme gâchis et un divertissement passable

Sans nul doute l’un des projets les plus chaotiques de ces dernières années. Annoncé dès 2007 lorsque Stephen King vend pour 19 dollars les droits de sa saga littéraire, les réalisateurs n’ont cessé de circuler (J.J. Abrams, Ron Howard…) tout comme les comédiens (Viggo Mortensen, Javier Bardem, Russell Crowe…), les scénaristes (Damon Lindelof, Brian Grazer…) et même les studios hollywoodiens (Universal, Warner Bros.). Sans oublier le choix du format d’adaptation, qui hésitait un temps entre le cinéma ou bien la série TV (là aussi des sociétés sont passées, comme NBC et HBO). Pourquoi une mise en chantier aussi compliquée ? Quand on connait le matériau de base, la question ne se pose même pas ! Adapter une série de huit romans écrite par le talentueux et tortueux Stephen King aussi riche que La Tour Sombre, c’est d’emblée se tirer une balle dans le pied. À l’instar du Seigneur des Anneaux, avant que Peter Jackson nous livre une trilogie inoubliable. Jusqu’à ce que Sony se lance enfin dans l’aventure en 2015, en donnant les rênes à Nikolaj Arcel (Royal Affair), pour enfin sortir sur les écrans en cette année 2017. Impression générale ressentie après le visionnage ? Un énorme « tout ça pour ça… »


Est-ce parce qu’il s’agit d’une mise en bouche à la série télévisuelle, toujours prévue ? Est-ce que le film s’est fait parce que, depuis le temps, il fallait le faire ? Est-ce que les producteurs voulaient se débarrasser de ce projet jugé inadaptable, « parasitant » depuis trop longtemps leur liste de titres à réaliser ? Quand on voit les informations délivrées par la fiche technique avant de se plonger dans le film, on en vient presque à dire que celui-ci s’est monté avec le plus grand « je m’en foutiste » total. Le budget ? Seulement 60 millions de dollars ! Non pas qu’un gros chèque fasse la qualité d’un film, celui-ci permettant tout même une bonne mise en chantier et évitant bon nombre d’embûches techniques. 60 millions donc se montre pour le moins rachitique, surtout qu’à la base, cela dépassait sans mal les 150 millions. La durée de l’ensemble ? Juste 1h30 ! Pour adapter une série de huit livres (la plupart dépassant les 700 pages) qui situe son action dans un univers aussi vaste et riche que celui de La Tour Sombre (qui mélange, en plus de cela, les autres univers de l’œuvre de King), cette faible durée n’est clairement pas suffisante ! Même si ce film était annoncé comme le début d’une saga, il n’y a pas assez de temps pour tout présenter convenablement sans paraître incomplet. L’affiche du film ? On insiste sur les deux stars et on omet d’y ajouter le jeune Tom Taylor, inconnu du public et pourtant héros principal de l’histoire. Comme si le film n’avait aucunement confiance en ce qu’il présentait, préférant s’attarder sur des valeurs sures (deux célébrités). Rien qu’avec ça, le film de Nikolaj Arcel fonçait droit dans le mur. Et si l’ensemble n’est, au final, pas mauvais, le constat s’en retrouve justement encore plus frustrant.


Car oui, La Tour Sombre, si on prend le film de manière générale, n’est pas un mauvais divertissement en soi. L’ensemble se montre assez rythmé, réalisé comme il faut et énergique à certains moments. Les effets spéciaux sont d’assez bonne facture, les paysages suffisamment mis en valeur. Une ambiance spielbergienne se fait même ressentir par moment, notamment avec le personnage du jeune Jake Chambers. Le casting est assez inégal au point de prendre des acteurs talentueux (Jackie Earl Haley) sans les utiliser à bon escient, mais profite de ses têtes d’affiches, qui s’amusent comme pas possible. Notamment Matthew McConaughey, dont le surjeu volontaire en devient jouissif, délectable et fait le film à lui tout seul ! Bref, vous l’aurez compris : La Tour Sombre possède suffisamment de cartes en mains pour se révéler au public tel un divertissement tout ce qu’il y a de plus agréable, de plus sympathique. Parfois drôle, parfois touchant, le film se regarde sans aucun déplaisir, telle une petite série B estivale qui n’a pour ambition que de vous faire passer un bon moment entre deux bronzages en terrasse ou bien sur la plage.


Et c’est là d’où vient la frustration en voyant La Tour Sombre : le film ne va jamais au-delà de ce statut. Outre le fait qu’en termes d’adaptation, le tout édulcore au maximum l’œuvre de Stephen King en ne proposant qu’une intrigue banale à la Narnia, le long-métrage ne fait que dans la facilité grossière. En effet, le script ne s’intéresse qu’à la quête de ses protagonistes et rien d’autre ! Si, il se permet un décalage humoristique pour amuser la galerie (le Pistolero débarquant dans notre monde) et quelques références gratuites aux autres titres de King (Shining, Ça, Christine, Les Évadés…)… et c’est tout ! Même si on oublie le statut d’adaptation de La Tour Sombre, le constat reste désespérément le même : l’univers proposé par l’histoire n’est jamais exploité. Ce dernier semble avoir ses règles, ses codes, son peuple, ses connexions avec d’autres univers… et rien ne transparaît à l’écran ni dans la narration. Tout n’est qu’un immense décor dans lequel se déroule une histoire au combien quelconque, déjà vue et beaucoup trop rapide dans ses enchaînements (en même temps, avec la durée du film…). On a clairement envie d’en découvrir plus, le long-métrage n’offre malheureusement rien d’autre. Comme s’il avait peur de dénaturer quoi que ce soit, il préfère livrer le strict (au combien) minimum pour ne pas offusquer les fans.


Sans aucune surprise, La Tour Sombre ne fait nullement honneur à l’œuvre originelle. Si vous aviez suivi sa douloureuse production et senti que le film allait se planter quelque part (comme de nombreuses adaptations), le résultat ne peut que vous donner raison. Et c’est vraiment dommage de constater à quel point le film parait si incomplet, si superficiel, car d’un point de vue divertissement estival, il fait le job. C’est divertissant, sans plus. Et face à l’ampleur, à la richesse de ce qu’il propose sans jamais l’effleurer, on ne peut s’empêcher de crier au gâchis. Car s’il n’y avait pas eu ce manque de confiance ou bien cet aspect « je m’en foutiste » cité plus haut (au choix !), on aurait pu avoir un long-métrage fort honorable. Mais non, faudra s’en contenter…

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