Les titres originaux, puisque le film se déroule de part et d’autre la frontière lorraine et recourent à des comédiens des deux nationalités, laissent entendre deux points de vue complémentaires mais fort distincts : Kameradschaft (version allemande) célèbre les valeurs humaines faisant des mineurs les membres d’un corps solidaire – « un mineur est un mineur » – prêt à rectifier les erreurs de leur dirigeant respectif, La Tragédie de la mine (version française) insiste au contraire sur l’intrigue première, à savoir le sauvetage de mineurs français dont la vie est menacée par le feu. Cette complémentarité rend compte du projet de Pabst, soit la reconstitution quasi documentaire de la catastrophe de Courrières en 1906, entraînant la disparition de plus de mille mineurs, à des fins d’autant plus symboliques qu’elle s’inscrit dans l’entre-deux-guerres, elle-même marquée par la survivance des antagonismes entre les deux pays et la perspective d’un nouveau conflit.
Dit autrement, le long métrage projette sur un épisode d’avant-guerre les spectres anachroniques d’une guerre d’après, se saisit de Courrières comme d’une métaphore du chaos à l’origine non pas de la séparation des peuples mais au contraire de leur entraide ; en cela, il offre un puissant plaidoyer pour la paix, mis en scène avec efficacité et doté d’une magnifique photographie. Nous ressentons l’héritage expressionniste de Pabst, visible par des gros plans sur une poignée de mains par exemple mais aussi par les jeux d’ombres et de perspectives réalisés dans la mine. Notons enfin que la sous-intrigue amoureuse sert de souterrain à l’intrigue principale, dans la mesure où elle commence par une séparation – le train, Paris – pour s’achever sur une réunion. Une œuvre splendide et vibrante d’humanité qui témoigne de deux époques dont l’une reste peu investie par le septième art, quoique revisitée récemment avec talent par François Ozon (Frantz, 2016).