"Salauds de pauvres !"
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Ce film est devenu un immense classique alliant les qualités du film d'auteur à celles du film grand public ; c'est très probablement le film français (avec les Tontons flingueurs) que j'ai le plus vu depuis ma jeunesse, et que je me repasse sans problème au moins une fois par an, et c'est à chaque fois une pure délectation, même si j'en connais les répliques par coeur. Comment oublier ces scènes mémorables aux dialogues qui charcutent et tranchent comme un rasoir entre Gabin et Bourvil ?
La scène du café où Gabin balance à tout le monde ses 4 vérités avec son ton agressif et grinçant qui fustige la lâcheté du "mauvais Français" et l'avachissement collectif face à l'occupant allemand est un cynique tableau d'une certaine France de l'Occupation, et décocher son vibrant "Salauds de pauvres!" fait preuve d'une grande audace à cette époque de réalisation encore proche des souvenirs de la guerre. S'ensuit une sortie tout aussi cinglante : Et vous affreux, j'vous ignore, j'vous chasse de ma mémoire, j'vous balaie !. Mais la scène qui me fait le plus d'effet est celle de la cave de Jambier où là encore Gabin éructe Jambier, Jambier, 45 rue Polyveau, j'veux 2000 francs nom de dieu !... c'est une scène très intense et féroce mais en même temps follement drôle sous sa carapace de trafic et de marché noir, où De Funès est très bon dans un rôle encore secondaire mais marquant face aux 2 monstres sacrés qu'il a en face de lui.
On retrouve donc dans ce film un ton cruel et amer, à travers une peinture réaliste et parfois honteuse d'une certaine mentalité de Français dans ces années noires de l'Occupation, un véritable portrait au vitriol du Français moyen. Bourvil représente de façon admirable le pauvre type timoré et pitoyable, écrasé par la vie, tandis que Gabin personnifie l'intellectuel anarchiste, cynique et gueulard qui s'essaie par jeu ou esprit de dérision à faire une expérience, sans se soucier d'idéologie ou de politique, pour "voir jusqu'où on peut aller". Pour Bourvil, ce rôle marqua une étape dans sa carrière, alors qu'il était cantonné aux rôles de naïfs ou de paysans idiots. Cette reconstitution sociale et historique se déguise en farce satirique époustouflante, truculente, outrancière jusqu'à l'épique, et sur la fin bouleversante, bref c'est un véritable chef-d'oeuvre du cinéma français comme on n'en fait plus.
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Créée
le 11 juil. 2016
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