Critique - La última tierra pour le magazine "L'écran"

Comme le dit très bien Cinélatino lui-même dans le guide du festival, c’est un « film-expérience ». Le film de Pablo Lamar, récompensé par le « Prix découverte de la critique française », est un incontournable de ces 28es rencontres de Toulouse. Il se distingue par sa réalisation, grâce à un talent incontestable : Pablo Lamar nous vient du Paraguay, un pays où le cinéma est quasiment inexistant, dû au manque de fonds pour le financer. Sa performance en est d’autant plus remarquable et apporte de la fraîcheur à une production nationale qui en a besoin.


Mais de quoi traite La última tierra ? Le scénario est très simple, il repose sur l’aventure spirituelle d’un vieil homme, dont la femme meurt comme point de démarrage de l’intrigue. Ensuite, on suit à travers une réalisation très expérimentale les différentes sensations qui touchent cet homme, confronté à la solitude dans un milieu isolé au sein des montagnes paraguayennes. Pour réussir à nous transmettre totalement les émotions des personnages, Pablo Lamar s’en est remis à deux acteurs professionnels. Le premier, Ramón del Río, est un acteur de théâtre paraguayen. L’autre, nommée Vera Valdez, est une actrice de théâtre et de cinéma brésilienne. Il est primordial aux yeux du réalisateur d’avoir des professionnels, puisque la durée des plans est très importante, le travail sur la gestuelle constitue la pierre angulaire de cette oeuvre. Les mots ont donc une place très limitée, pour la simple et bonne raison que les paroles n’intéressent pas le réalisateur ; Pablo Lamar insiste sur ce fait : ici la façon de communiquer est plus intime que la parole.


On peut observer dans ce film une réflexion sur la vie et la mort à travers une démarche existentielle. Ce thème, très apprécié par le réalisateur, permet de s’interroger sur le fossé pourtant très étroit qui nous sépare de la mort. Les différents choix effectués par Lamar sont aux antipodes des techniques d’aujourd’hui, où le montage est souvent très complexe. Ici, ce sont les plans, très souvent des plans-séquences, qui parlent d’eux-mêmes. A titre d’exemple, la façon de représenter le décès de la femme surprend par son originalité. Lors de la délibération du jury de la critique, une journaliste de Télérama déclare : « Cette pleine lumière, puis cet effacement…Cette idée-là, je ne l’avais jamais vue. ».


Par ailleurs, une formidable mise en valeur des pratiques rudimentales nous permet d’aller au-delà de notre société sous surveillance pour plonger dans une histoire fascinante, à l’abri de toute civilisation. Les éléments naturels occupent une place de choix, puisque l’eau, le feu et la terre reviennent à plusieurs reprises. C’est aussi cela qui plaît dans La última tierra : cette volonté de nous proposer autre chose, défaussé de toute forme de contrôle, avec une aventure que le silence raconte mieux que quiconque. Dans un monde de plus en plus connecté, ce film s’impose comme une alternative, où deux personnes peuvent facilement laisser place à une intrigue fascinante.
Le travail sur le son est à souligner, puisque tout a été postsonorisé par Pablo Lamar, ce qui permet d’obtenir des sons naturels très bien retranscrits.


Ce film ne plaira pas à tout le monde, il repose sur des plans fixes d’une certaine durée susceptibles d’agacer certains. Lors de l’interview qui a suivi la séance du vendredi 18 mars, Pablo Lamar nous a répondu suite à notre requête concernant les choix de réalisation. Pourquoi avoir choisi ces plans fixes d’une certaine durée, quel en est le but ? Nous avons ainsi appris que ce choix a à voir avec la narration, la lenteur des plans est en lien direct avec les possibilités et les petits éléments que le spectateur doit trouver. Il existe une atmosphère, un état d’esprit à partager avec le spectateur, c’est un ton que nous propose Lamar pour pouvoir rentrer dans l’ambiance du film.


A travers ce film, Pablo Lamar s’impose à 32 ans comme l’un des cinéastes les plus prometteurs du cinéma paraguayen, et plus globalement du cinéma d’Amérique latine. Dans une formidable aventure initiatique, un vieil homme expérimente la mort de sa femme et traverse de nombreuses sensations. Flot de sensations bien rendu par la prestation impeccable des acteurs et une réalisation qui fait de ce film, selon les critiques, le seul dont on retient les plans dans ce festival. Espérons que Pablo Lamar ait de nouvelles histoires à nous raconter dans les prochaines années, il serait dommage de passer à côté d’un tel talent.

Créée

le 10 juin 2016

Critique lue 233 fois

1 j'aime

Critique lue 233 fois

1

Du même critique

Pas un bruit
SimonLesénéchal
5

Une bonne idée qui reste muette

Avec l'idée ingénieuse de placer une femme sourde et muette dans le rôle du protagoniste, Pas un bruit (Hush en anglais) ne manque pas d'éveiller la curiosité. Cela offre en effet de nombreuses...

le 24 juil. 2016

6 j'aime

Little Miss Sunshine
SimonLesénéchal
9

Le voyage initiatique de la famille Hoover

Little Miss Sunshine, c'est l'histoire d'une famille complexe, forcée de voyager ensemble pour se rendre à un concours de beauté, auquel la fille Olive doit participer. L'aventure s'annonce...

le 29 déc. 2016

2 j'aime

Hip Hop Evolution
SimonLesénéchal
9

Aux origines du Hip Hop

Après The Get Down, Netflix délivre une nouvelle série sur la musique des années 70, pour remonter jusqu'aux années 90. Toutefois, cette nouvelle production se focalise sur le Hip Hop et ses...

le 24 déc. 2016

2 j'aime