Comme un conte, "La Vache" suit les aventures d'un héros sympathique, Fatah, humble paysan algérien, qui doit atteindre un objectif : conduire son unique vache, Jacqueline, au Salon de l'Agriculture qui se tient à Paris. Objectif qu'il s'est lui-même fixé, puisqu'il entretient de tels liens d'affection avec son animal qu'on pourrait croire que celui-ci l'a vu naître. Comme dans un conte voltairien, le héros est empreint d'une touchante naïveté qui lui fait porter un regard désarmé et désarmant sur le monde. Comme dans un conte, son périple va le conduire à affronter un certain nombre d'épreuves, auxquelles sa gentillesse donnera systématiquement un tour très cordial, voire chaleureusement festif, à tel point qu'il pourra advenir que cette convivialité se retourne contre lui. Comme dans un conte, la trajectoire suivie par le héros va jeter un pont entre des espaces opposés, son Algérie natale, dépeinte dans un hors-temps, à quelques détails près (le surgissement presque anachronique d'un écran d'ordinateur et des échanges en direct qui s'y déroulent), et le monde, plus moderne et contemporain, découvert en France. La scène d'ouverture fondait d'emblée les piles de ce pont, puisque l'on y voyait Fatah, penché sur son petit rectangle cultivé, et fredonnant des chansons de variété françaises...


Un désir de rapprochement très délibéré chez les trois scénaristes, qui n'étaient autres que l'acteur principal lui-même, Fatsah Bouyahmed, le réalisateur, Mohamed Hamidi, et le malouin Alain-Michel Blanc. Tous trois s'en expliquent volontiers, soulignant leur conscience des écueils entourant, à l'heure actuelle, l'écriture d'un tel scénario, et avouant la liste de thèmes interdits qu'ils avaient dressée, en garde-fou. Le miracle réside dans le fait que, non seulement les écueils redoutés ont été contournés mais, plus encore, ces tabous thématiques ne sont absolument pas perceptibles dans le film, les scénaristes n'hésitant toutefois pas à faire se poser le regard candide de leur héros sur les rapports hommes-femmes dans la société algérienne, le rôle et les effets de l'alcool, l'état mental de la France, les limites entre richesse et pauvreté... Des thèmes très fondamentaux, donc, et qui construisent un pays, une société, mais d'où ont été bannies toutes les sources de conflit primaires et reposant sur des haines et des aprioris.


C'est ainsi que l'on pourra voir notre Candide s'aventurant seul dans une église et levant vers les vitraux et les statues un regard aussi émerveillé que s'il pénétrait dans le Paradis aux cinquante mille vierges promis par l'Islam à ses martyrs. Un conte profondément humaniste, donc, puisqu'il s'emploie à dépasser les oppositions par le rire ou l'émotion. Un conte nécessaire, dans la mesure où il veut croire au temps où l'Algérie aimerait la France, et réciproquement.

AnneSchneider
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le 28 août 2016

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Anne Schneider

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