Déjà, je précise que la démarche et le discours initiaux de Jean-Michel sont pertinents, notamment sur la question du respect de l’animal et de ne pas aller trop loin dans l’incruste qu’il se tape dans leur milieu. Mais je dois avant tout reconnaître que toutes ces critiques dithyrambiques me chagrinent un peu puisque dès qu'il s'agit d'un sujet lié de près ou de loin aux animaux (sauvages en plus! Wah!) et qui plus est de manière esthétiquement propre, on crie au chef-d'oeuvre. Sauf que là c'est un film sur l'homme, et sur un seul homme. On ne voit que lui.


Je ne m'éternise pas sur l'usage décomplexé de la voix-off et du verbe tout à fait inadapté et niais, mais surtout très envahissant, décrit -> ici <- avec justesse. L'équipement performant et les illusions liées au montage sont tout aussi bien décrits dans la critique citée.



Synopsis. "Le pari fou d'un rêveur parti bivouaquer trois ans."



Première rectification qui tient son importance capitale, c'est sur une étendue d’apparemment trois ans (et dans le film il n'est question que de deux étés/hivers) et non une immersion solitaire totale de trois ans que le film se déroule. Le tout largement entrecoupé de longues périodes de césures. Certes Jean-Michel Bertrand ne revendique pas une épopée de trois ans sans retour au chaud, mais il se garde bien de semer la confusion et de ne pas rectifier ceux qui lui attribuent ce mérite déplacé.
Il faut bien avoir en tête que Jean-Michel a fait de très nombreux aller-retours et alternait les nuits au bivouac et retour à la maison au milieu de réelles coupures. Sans compter les ravitaillements et aiguillages des copains, le tout en voiture hein les gars faut pas rêver. On est très loin de l'aventure de l'homme au défi, à la traque jour et nuit pendant mille jours..


C'est un film qui se veut constamment grandiose et sensationnel. C'est d'ailleurs assez inabordable pour le spectateur tellement le rythme est pesant et ne se relâche jamais à cause de cette obsession du beau volontairement surchargé, musicalement encombrant pour un rendu final très lourd. Le seul ébloui par les images reste ce Mr Bertrand. (C'est de famille d'ailleurs non? Déjà son gendre Yann-Anus jouait dans la même cour..)



Petite mascarade



La première rencontre avec le loup est une énorme blague : le mec se filme en train de pisser puis soudainement se retourne ébahi du voir son premier loup sauvage, mais en même temps quelqu'un réalise le cadrage parfait sur le loup.. ?? Comment tout cela est-il possible ? C'est évidemment une scène complètement rejouée, et nous sommes tout à fait en droit de la relier à un rang de fiction puisque c'est ainsi qu'elle nous est présentée. De là à imaginer que le loup montré n'est pas celui aperçu il n'y a qu'un tout petit pas et c'est ainsi de toute l'histoire contée que l'on se prend à remettre en cause.
Surtout que plus tard, après une longue traque, JM affirme filmer son premier loup alors que ce n'est pas le premier que nous voyons.


Tout est rejoué, refilmé, réinventé pour nous raconter une histoire toute belle, mais on en vient à douter du réel déroulement des événements. Surtout qu'il est accompagné (pour les scènes filmées) de sa caméra-woman et du preneur de son donc on est loin aussi de l'homme tout seul qui fait bien pipi gentiment pour prévenir d'où il est. Il est souvent suivi et donc la théorie "pilier" du film selon laquelle les loups l'apprivoisent et le tolèrent n'est qu'une mascarade. A aucun moment ces autres présences humaines sont précisées au spectateur, elles sont à l'inverse bien gardées silencieuses au profit du mythe de l'homme seul dans la nature.


L’esthétique dronesque et lancinante est là pour nous détourner des largesses du script, des énormes ficelles et j'en tiens pour exemple la première rencontre avec le loup, témoin de l'énorme montage-bidouillage-fiction du film.


Gardons bien en tête que si, comme Jean-Michel veut nous le faire croire, c'est le loup qui est guetté, c'est bien lui qui est le centre de l'objectif durant le film. Notre aventurier est obsédé par l'idée de filmer les loups mais ne nous transmet à aucun moment son amour pour ceux-ci, ni ne nous fournit des informations sur leur mode de vie, lui qui arrive pourtant à avoir de la matière pour nous en apprendre. Obnubilé par la quette de ses images, Jean-Mi regarde sans observer et en oublie l'animal. En oublie le spectateur.


Est-il réellement comme il l'affirme le premier à filmer des loups sauvages ? Alors il doit bien avoir quelques précieuses découvertes à nous transmettre, non ? Non. Seulement cet exploit et cette démarche de précurseur arguée à tout va sur les plateaux télés.


Devant des journalistes toujours là pour l'encenser. Mais son aventure racontée n'est pas la vraie et les louanges qu'on lui attribue lui font tellement gonfler les chevilles que je ne sais pas comment il va pouvoir rentrer à nouveau dans ses chaussures de marche.



Bouquet final



J'étais parti pour faire une petite liste des exemples les plus rigolos mais finalement je n'en énumérerai que quelques-uns, afin de ne pas spoiler les friandises du film:
- Le coup de feu constitue une énième plaisanterie. L'ingé son précise dans une interview être à quelques centaines de mètres de Jean-Michel, et avoir fait des repérages seul aussi. Et puis on est soi disant hyper perdus dans la vallée, les loups tolèrent enfin Jean-Mi.., lui qui est le seul humain présent. Mais non quelqu'un de très méchant est là pour les chasser avec un gros fusil, mais les loups restent quand même alors qu'ils avaient migré en sentant le danger plusieurs fois auparavant. Tu nous prends pour des cons Jean-Mi ?
- Mention spéciale à la poêle dans la sacoche du cheval pour un rendu Indiana Jones à l'aventure des plus affriolants! Et le Mac Jean-Mi tu le mets pas dans la sacoche du poney ?
- Le pain frais et les petites tartines au beurre/miel c'est trop bon.. Coup de chapeau au boulanger (rangé lui aussi dans la sacoche du cheval).
- La palme d'or du décor est décernée au petit carnet "home made" tout mignon arboré par notre héros où lui même dessine sa carte à vue d'œil au feutre version "je fais un dessin et je mets une petite croix parce que je vais aller la bas, ouais". Le gars derrière se trimbale forcément un attirail de GPS pour se repérer et retrouver ses caméras et ses technologies de pointes, mais non, c'est ce carnet qui crève l'écran. L'illusion est poussée ici à son paroxysme et on ne compte plus les arbres qui cachent la forêt...


Le concept est même plus fourbe puisque la démarche scientifique de l'approche des loups est ainsi biaisée et masquée; c'est seulement le rêve de cet homme qui doit prendre vie, quitte à négliger les aspects plus formels et techniques qui sont les parties essentielles (et pourtant bien présentes ici) d'un projet aussi colossal.


Que retenons-nous de ce film concernant les loups ? Qu'est ce que ce film nous a appris sur ces animaux ? Rien. Que le réalisateur nous a t-il transmit ? Il devait pourtant s'agir d'une démarche généreuse. Il n'en est finalement rien du tout.


Je termine par la gigantesque farce qu'est Jean-Michel Bertrand (l'humain, pas le Indiana Jones). Lors de la séance au ciné à laquelle j'ai assisté, le réalisateur était là pour la présenter, épaulé d'une chiée d'assos venues faire leurs pubs et s'envoyer des fleurs entre elles devant nos yeux qui s'en secouaient doucement. Et donc le gars explique tranquillou qu'il n'arrive pas à laisser les gens s'approprier le film et qu'il peine à lâcher son bébé.. même deux mois après sa sortie. Donc il se pointe dans toutes les salles pour se faire mousser et se laisser applaudir, en enchaînant le lendemain avec les présentations aux scolaires où il vantera son travail comme celui d'un solitaire parti à chasse aux images inédites des loups sauvages. Une bien étrange démarche qui pose la question de pour qui a été fait le film.. pour les loups, comme précisé à la fin du film, pour la science, pour toi, pour moi ? Non, et l'homme, avare de son expérience pour n'en dicter que le plus beau quitte à duper le spectateur, y répond clairement de vive voix; c'est uniquement pour lui.


Et si l'homme megalo n'était pas le véritable loup pour l'homme..?


Préservons nos esprits critiques et gardons bien en tête qu'il est facile de montrer ce que l'on veut montrer et de faire dire ce que l'on veut à des images. Surtout lorsqu'elles aveuglent de par leur fonction reluisante.


A écouter aussi, à partir de 46' https://www.franceinter.fr/emissions/le-masque-et-la-plume/le-masque-et-la-plume-08-janvier-2017

Bidoudoume
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le 20 févr. 2017

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Bidoudoume

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