La comédie humaine
De la filmographie de Martin Scorcese ont connait surtout, et à raison, ses collaborations avec Robert DeNiro. Casino, Les Affranchis, Mean Streets, Raging Bull, Taxi Driver sont des films qu'il...
le 12 août 2012
103 j'aime
2
En 1979, après une série de revers personnels et professionnels, Martin Scorsese revient à New York, brisé par ses échec et ses problèmes de drogue. Il s’installe dans un modeste appartement qu’il meuble simplement, cherchant à recréer une illusion de stabilité. Chaque jour, il s’accroche à une routine : regarder des films classiques à la télévision, et consulter un psy cinq fois par semaine. Convaincu que sa carrière est finie, il avoue comprendre pourquoi certains réalisateurs abandonnent. Pour Martin Scorsese, réaliser des films demande une passion dévorante, une volonté presque obsessionnelle de raconter des histoires, mais il réalise alors que, parfois, la vie elle-même devient plus importante que le cinéma.
Après avoir terminé Raging Bull en 1980, un film qui marque le retour en force de Martin Scorsese et reçoit un immense succès critique, le réalisateur et Robert De Niro, dont la collaboration a été essentielle à ce renouveau, sont impatients de retravailler ensemble. Leur alchimie créative, bâtie sur une profonde compréhension mutuelle et des performances inoubliables, les pousse à chercher de nouveaux projets.
A l’époque, en 1974, Robert De Niro avait donné à Martin Scorsese un script écrit par Paul D. Zimmermann. L’histoire, centrée sur la prise en otage d’un célèbre comique par un fan obsédé cherchant désespérément la célébrité, laissait Scorsese perplexe à l'époque. Il ne comprenait pas l'intérêt de ce scénario qui s’éloignait de ses préoccupations cinématographiques habituelles, notamment ses thèmes plus sombres et réalistes. Et oui… C’était le script de The King of Comedy.
Après avoir goûté à la renommée avec Raging Bull, Mean Streets et surtout Taxi Driver, acclamé dans les festivals du monde entier, Martin Scorsese a également connu le revers brutal de la célébrité avec l’échec de New York, New York. Ce lynchage critique et commercial lui a permis de comprendre la nature cyclique et déformante de la célébrité, ainsi que son pouvoir à façonner et distordre la perception de la réalité. En 1980, lorsqu'il relit donc le scénario de The King of Comedy, il comprend mieux la pathologie de Rupert Pupkin, ce personnage bientôt incarné par Robert De Niro, obsédé par la célébrité au point de sombrer dans une quête absurde et autodestructrice. Fort de son expérience personnelle de la gloire et de ses dangers, Scorsese se sent prêt à diriger ce film, saisissant toute la profondeur de cette satire sur la soif maladive de reconnaissance, et comment la célébrité peut corrompre ceux qui la poursuivent à tout prix.
De plus, Martin Scorsese a pu observer de près l’effervescence autour des stars, notamment celle entourant Robert De Niro. Un exemple marquant est celui d’un fan particulièrement insistant qui parvint à obtenir le numéro de téléphone de l’acteur et l’appelait à tout moment. Au début, De Niro tentait de rester évasif, mais cédant à la curiosité, il finit par rencontrer cet homme, qui lui proposa même de venir chez lui, une offre que De Niro refusa évidemment. Le fan persista néanmoins à le contacter, illustrant l'intrusion constante dans la vie privée des célébrités. Lors du tournage de The King of Comedy, De Niro renversa les rôles en interpellant et en harcelant les chasseurs d’autographes, les injuriant, inversant ainsi la dynamique star / fan. Ce comportement était en parfaite adéquation avec le thème du film, qui explore la frontière fine entre star et fan, l'obsession et l’obsédé. Cette dualité reflète aussi l’ambivalence personnelle de Scorsese, partagé entre la fascination pour la célébrité et la méfiance envers ses dérives.
Robert De Niro et Martin Scorsese se permettent de réécrire partiellement le scénario pour lui donner une tonalité plus sombre, influencés par des événements récents. La tentative d’assassinat du président Ronald Reagan par John Hinckley Jr. le 30 mars 1981, un acte motivé en partie par l'obsession d'Hinckley pour Jodie Foster après l'avoir vue dans Taxi Driver, les marque profondément. Cet incident tragique met en lumière la frontière fragile entre admiration et obsession violente, un thème central du film. En conséquence, ils ajoutent une couche plus inquiétante à l’histoire de Rupert Pupkin, accentuant la pathologie de sa quête de célébrité à tout prix.
Lorsque The King of Comedy sort en 1983, il résonne comme une critique acerbe de la culture de la célébrité et du danger latent de l'obsession fanatique, renforçant ainsi sa pertinence et son impact.
Le film détonne dans la filmographie de Martin Scorsese en raison de son style visuel inhabituel. Scorsese, reconnu pour ses montages dynamiques et ses mouvements de caméra expressifs, choisit ici une approche plus sobre et minimaliste, en adéquation avec le sujet du film, centré sur l'influence de la télévision. Inspiré par l'esthétique plate et ordinaire du petit écran, il réduit volontairement les effets de montage, adoptant une caméra plus statique et cadrant à hauteur d'homme, ce qui confère au film une sensation de proximité avec les personnages. Ce choix stylistique reflète une volonté de ne pas laisser la virtuosité technique dominer la narration, mais plutôt de créer une distance critique et lucide sur la quête absurde de célébrité de Rupert Pupkin. En allégeant sa signature visuelle, Scorsese permet à l’histoire de prendre le devant de la scène, laissant entrevoir une réflexion profonde sur la culture médiatique sans être submergé par des effets de style.
Martin Scorsese choisit délibérément de créer une confusion entre les différentes strates de sa mise en scène. Il mêle la réalité du récit, les fantasmes de Rupert Pupkin, et les séquences télévisées, brouillant ainsi les frontières entre fiction et réalité. Ce choix déstabilise le spectateur, l'obligeant à interroger son propre rapport à l’image et à distinguer ce qui est authentique de ce qui relève de l'illusion ou de la mise en scène. À une époque où la télévision tente de se présenter comme un reflet fidèle de la réalité, Scorsese expose, au contraire, son caractère profondément artificiel. Il met en lumière le pouvoir de ce médium à manipuler la perception et à altérer la frontière entre réalité et fiction, un message qui reste pertinent aujourd'hui, à l'heure des médias omniprésents et de la confusion grandissante entre information et divertissement.
Autre confusion volontaire, le mélange des registres cinématographiques opposés. Bien que la structure de base du film soit indéniablement dramatique, avec Rupert Pupkin prêt à tout pour atteindre la célébrité, le réalisateur y insère des séquences presque burlesques. Des moments absurdes et comiques, comme Rupert déambulant maladroitement dans des couloirs sous la poursuite de la sécurité, rappelant les visuels de cartoons. On rit également devant des scènes de comique de répétition, où tout le monde écorche le nom du personnage principal, ou lorsqu'il s’embrouille en essayant de dicter des répliques à Jerry à travers des cartons. Cette légèreté contraste avec des éléments plus sombres, presque horrifiques, comme la relation entre Rupert et sa mère invisible, qui rappelle le rapport oppressant entre Norman Bates et sa mère. Cette juxtaposition d'humour et de malaise rend le film difficile à cerner, tout en lui donnant une richesse unique, où l'absurde côtoie l’inquiétant, et où la quête de célébrité devient à la fois risible et terrifiante.
Rupert Pupkin est présenté comme un pervers obsessionnel, mais le film parvient à susciter de la pitié pour cet homme dont la naïveté excessive le pousse à des comportements dangereux. Alors que Rupert semble souvent plus victime que coupable, c'est le monde extérieur qui apparaît agressif et hostile, le poussant dans une spirale de désespoir et d'angoisse. Robert De Niro excelle dans ce rôle, en transformant sa posture et son phrasé pour incarner ce personnage complexe, révélant ainsi une nouvelle facette de son immense talent. Bien que les performances de Jerry Lewis et de Sandra Bernhard, dans des rôles à contre-emploi, soient également intrigante et marquante, c'est la quête de Rupert qui reste au cœur du récit. Le film gravite autour de son univers semi-imaginaire, où la frontière entre la réalité et les fantasmes de célébrité s’estompe, accentuant ainsi la tragédie de son obsession tout en soulignant le caractère illusoire de ses aspirations.
Rupert Pupkin, au départ perçu comme inoffensif et même sympathiquement naïf, devient progressivement un personnage profondément inquiétant. Cette évolution révèle l'absurdité de son monde, qui semble fonctionner selon des règles propres, presque imperméables aux réalités extérieures. Le film explore ainsi ces réalités alternatives façonnées par la télévision, qui agit à la fois comme une fenêtre sur un monde illusoire et un écran sur lequel chacun projette ses fantasmes et désirs. Cette dualité souligne le pouvoir corrosif des médias, capables de créer des univers dans lesquels les obsessions prennent le pas sur la réalité. Rupert, en quête désespérée de reconnaissance et de célébrité, incarne ce phénomène, illustrant comment la télévision peut transformer des individus ordinaires en personnages dérangés, enfermés dans leurs propres illusions. Cette critique de la culture médiatique et de ses dérives reste d'une pertinence saisissante, mettant en lumière les dangers d'une société de l'image où les frontières entre rêve et réalité se brouillent de manière alarmante.
The King of Comedy est une œuvre audacieuse qui transcende les genres, mêlant drame, comédie et satire sociale pour offrir une critique incisive de la culture de la célébrité et des dérives médiatiques. À travers le personnage de Rupert Pupkin, le film explore les thèmes de l'obsession, de l'aliénation et de la quête désespérée de reconnaissance dans un monde façonné par la télévision. Scorsese réussit à brouiller les frontières entre réalité et fiction, révélant la manière dont les fantasmes personnels peuvent déformer notre perception du monde. En présentant Rupert à la fois comme un personnage tragique et inquiétant, le réalisateur invite le spectateur à réfléchir sur la nature de la célébrité et son impact sur l'individu. En fin de compte, le film nous pousse à questionner nos propres relations avec les images et les récits que nous consommons, soulignant l'importance de discerner la vérité au milieu des artifices de la société médiatique.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de Martin Scorsese
Créée
le 7 oct. 2024
Critique lue 18 fois
D'autres avis sur La Valse des pantins
De la filmographie de Martin Scorcese ont connait surtout, et à raison, ses collaborations avec Robert DeNiro. Casino, Les Affranchis, Mean Streets, Raging Bull, Taxi Driver sont des films qu'il...
le 12 août 2012
103 j'aime
2
La-chenille-qui-se-croyait-papillon tourne et virevolte dans la nuit, fol insecte en quête d'une source de lumière où pouvoir s'abîmer. Le générique se fige bientôt en un instantané. Un de ceux que...
Par
le 8 août 2015
59 j'aime
14
D'un côté Rupert Pupkin, aspirant comédien pathétique et névrosé, à la lisière de la schizophrénie. De l'autre Jerry Langford, animateur star de la télévision, aussi avenant en public que misanthrope...
le 20 févr. 2017
39 j'aime
Du même critique
Mission Impossible III a changé bien des choses. La promo a été piratée par Tom Cruise, qui a étalé sa vie personnelle et son mariage avec Katie Holmes. Conséquence directe ou coïncidence : le...
le 7 juil. 2023
2 j'aime
Comme la majorité des jeunes français, j’ai connu Dragon Ball le 02 mars 1988 sur TF1, dans le Club Dorothée. J’étais loin de me douter que ce dessin animé était l’adaptation d’une bande dessinée,...
le 18 oct. 2022
2 j'aime
3
Comme la majorité des jeunes français, j’ai connu Dragon Ball le 02 mars 1988 sur TF1, dans le Club Dorothée. J’étais loin de me douter que ce dessin animé était l’adaptation d’une bande dessinée,...
le 17 oct. 2022
2 j'aime
3