Découvert tardivement à ma grande honte, Kon Ichikawa m'avait fait très forte impression avec "Feux dans la plaine" que je considère à très juste titre comme un chef-d'oeuvre bouleversant, nihiliste et par extension choquant. Le genre de film qui marque et qui fout un gros coup de rangers dans les roubignoles des films de guerre traditionnels qui ne montrent pas l'essence même de la guerre. Il était ainsi tout naturel de ne pas en rester là et de me confronter cette fois avec "La Vengeance d'un Acteur" dont la noirceur du synopsis m'attirait en bon aficionados d'oeuvres qui bousculent. Comme je m'y attendais, le niveau fut quelques crans en-dessous de ma première entrée dans son monde (extrêmement difficile de faire mieux en même temps) mais l'expérience fut loin d'être déplaisante. On tient véritablement un long-métrage audacieux dans sa mise en scène, dans la construction scénique et dans un style éloigné de toutes les conventions.
Ceci tenant en deux points. L'épicentre est indubitablement cette absence de toute fracture entre monde réel et monde du théâtre où tout est factice. Dans le cas présent, Ichikawa se joue des faux-semblants, n'émancipe jamais le personnage de sa condition d'acteur tourmenté. Il est prisonnier de ses chaînes comme s'il était éternellement condamné à vivre dans un univers de rideaux et de décors artificiels. Outre Yukinojo constamment grimé de maquillage, la topologie renvoie au théâtre. Les exemples les plus criants sont ces combats au sabre, cette fuite éperdue en pleine obscurité et tout ce qui se déroule autour d'un lac. Rien ne semble réel, comme si finalement l'histoire de cette figure vengeresse ne se désolidarisait pas de l'imagerie théâtrale en vase clos.
Secundo, un point qui m'a assez plu est que les conventions volent en éclat concernant l'aspect de Yukinojo interprétant des rôles féminins. Efféminé, fragile et sensible, ce que certains verront comme un fardeau pour son combat et sa survie dans un monde impitoyable où l'on assassine pour un rien ou menons à la perte des gens lui porte tout sauf préjudice. Sous son masque de garçon attristé se cache les noirs desseins d'un homme dominé par la haine ne faisant de cadeau à personne, manipulant à sa guise ses proies devenues de pathétiques marionnettes.
Malgré ses avantages qui le rendent plutôt en avance sur son temps (avec la présence toujours aussi vénéneuse et pourtant touchante de la sublime Ayao Wakao), j'avoue avoir tiré un peu la moue sur une histoire construite de manière inutilement complexe alors que les objectifs sont finalement d'une simplicité notable.