Genroku Chushingura de Mizoguchi, c'était un rêve depuis mon inscription sur SC. Je l'idolâtrais sans même l'avoir vu -sans doute car je n'arrivais pas à le dénicher- et m'étais imaginé un des meilleurs films de sabre réalisés. Bien déconfis je fus lorsque, après 3h45, je pris conscience de l'absence totale du moindre duel au sabre. Le film traite exclusivement des samurai, c'est évident, mais n'imaginez pas voir les lames danser. Bref, cette déception toute relative mise à part, Les 47 Rônins n'en demeure pas moins un excellent film au scénario prenant et bien étudié. La caméra nous présente les scènes sans la moindre anicroche certes, mais sans révolution on plus. Elles s'adapte avec calme aux situations, pendant que l'intrigue arachnéenne nous scotche à l'écran.
Bon, j'exagère un peu avec ce qualificatif, mais il n'en demeure pas moins que cette histoire de clan samurai déchu est captivante. Tout débute avec Kira, vieux personnage haut placé à la cour d'Edo, qui débite insultes sur ignominies envers le seigneur Asano, maitre de son clan. La déchéance s'immisce suite à l'excès de colère d'Asano qui tenta de tuer Kira lors d'une cérémonie officielle, réaction primaire le condamnant à la fameuse sentence du seppuku. Il n'exprimera officiellement que pour seul regret de ne pas avoir tué Kira, tout en assurant demeurer fidèle au Shogun. Mais dès lors, tout s'effondre pour ce clan. Les vassaux n'ont plus de maitre, et leur statut de samurai se convertit malgré eux en rônins, l’opprobre de la trahison et de la félonie planant sur le nom de leur maison. Le chambellan, ami d'enfance du seigneur et maitre du clan déchu, se pose en médiateur dont le comportement ne saurait être affirmé courageux ou bien son contraire. Tout ce que les vassaux savent, c'est l'amour et la peine envers leur défunt seigneur que tous partagent avec sincérité.
Le rôle du chambellan est déterminant. Il est la passerelle conciliatrice entre la fidélité hors du commun qui nourrit le désir de vengeance des vassaux loyaux et l'hypocrisie, symbole d'une iniquité incarnée par un pouvoir shogunal désintéressé et décadent. Nous sommes en 1701, et le Japon est plongé dans une période de paix qui propulse les samurai dans les abîmes de l'ennui, prenant conscience de la nature obsolète de leur existence si rien ne requiert leurs capacités guerrières. Tantôt héros quand la guerre éclate, ils deviennent sans but en temps de paix. Le bushido, fierté historique de toute une nation, semble se perdre alors que les conflits sont malicieusement passés de la lumière aux ombres de la cour shogunale. L'intrigue servant l'intérêt personnel est devenu monnaie courante à Edo, et l'esprit du samurai semble y avoir perdu sa place.
Mizoguchi nous offre dans la première moitié de son film un prélude de la perdition de l'esprit du samurai, qui se transmet par générations au travers de l'enseignement -éducation, plutôt- du bushido. C'est ainsi qu'une réaction loyale de samurai déchus, attitude normalement commune aux samurai, deviendra pour le peuple un modèle de loyauté et de courage, ce qui témoigne bien d'une perdition de cet esprit autrefois plus répandu. Ainsi la persévérance de ces désormais rônins dans leur volonté de défendre l'honneur de leur souverain piégé et condamné à se faire seppuku, alors que Kira ne fut l'objet d'aucune incrimination, se veut extraordinaire. L'abnégation et la loyauté exacerbée de ces samurai dans ces temps troublés semble parfois tendre vers l'absurde tant la valeur des vertus qu'ils expriment s'est amenuisée dans une caste qui ne connait plus sa place.
Honneur, loyauté, courage, toutes ces qualités honorifiques symboles du samurai tel qu'il devrait être touchent tant le peuple que la caste des samurai que beaucoup se prennent d'empathie envers ces rônins forcés à l'attitude remarquable. Dévoués jusqu'à la mort, la cinquantaine de vassaux loyaux prend son mal en patience à la demande du chambellan, dont l'attitude conciliatrice semble masquer une volonté similaire à ces fidèles samurai, lesquels s'en sont remis à lui pour, ils l'espèrent tous sincèrement, exécuter leur vengeance en tuant Kira afin de rétablir autant l'honneur du clan Asano que le leur et celui de leur seigneur. Comme l'énonce Mizoguchi, un samurai sans maitre n'est qu'une arme obsolète qui n'a pas de place en ce monde. Ce comportement louable suscitera l'admiration de samurai et seigneurs de clans, laissant planer sur le fil conducteur de l'oeuvre un parfum qui ne s'est pas gêné de titiller allègrement ma corde sensible.
Là où pèse lourdement l'accusation du réalisateur concerne l'anachronisme qu'est devenu le véritable esprit du samurai. Quelle incongruité ! Dans une société guidée par une justice embourbée dans un véritable mélo de tartufferies qui se veut un symbole évident et désolant d'iniquité morale, les valeurs qui devraient être un modèle de comportement en viennent à atteindre l'absurde, le superflu et portent la marque du désespoir. Comme si l'honneur du samurai n'était plus, comme si l'admiration suscitée par la volonté sincère, loyale et courageuse de ceux qui seront les 47 rônins ne constituait rien de plus qu'une larme supplémentaire dans un océan stupéfiant de résolutions sentencieuses que la parodie de justice shogunale, gangrénée par l'hypocrisie, s’adjuge sans effort le rôle d'en étouffer l'existence.