Dire qu'il y a un lien de parenté entre La vengeance est à moi d'Imamura et Memories of murder de Bong-Joon Ho n'est pas un secret puisque le réalisateur coréen a admis avoir fait un remake du film d'Imamura. Les deux films poursuivent un même objectif : utiliser la narration du crime pour mieux dépeindre la complexité et les ambiguïtés sociétales des civilisations extrême-orientales qui s'ouvraient timidement à la démocratie dans la seconde partie du 20ème siècle.
Préfigurant l'opus coréen de Bong-Joon Ho, Imamura brosse le portrait d'une société japonaise patriarcale et corsetée dans la tradition, dont la violence sociale aboutit inexorablement à enfanter des monstres de sang froid. Mais contrairement à Memories of murder qui ne dévoilera jamais l'identité du tueur et se focalisera essentiellement sur la figure des enquêteurs, La vengeance est à moi opte résolument pour un point de vue subjectif au plus près du criminel : un escroc, dénué de tout sens moral en vient à commettre le meurtre en série sans véritable mobile.
Nous suivons ses pérégrinations de malfrat à travers son récit ou ceux de ses parents. L'enchevêtrement des flash-backs et de présent de narration crée un tourbillon qui vise à déstabiliser le spectateur mais finit par faire sens. Imamura jette bien quelques bribes interprétatives fondée sur les traumas juvéniles du tueur mais il se refuse à tout jugement moral et à toute volonté explicative ou justificatrice. On comprend que le parcours criminel d'Iweo prend sa source dans l'opposition radicale à la figure du père perçu tantôt comme un lâche, tantôt comme un concurrent sexuel.
Les femmes et le sexe semblent jouer une fonction catalysante des pulsions meurtrières du tueur. Les femmes se donnent à lui mais Iweo ne sait que faire de leur amour : dénué d'empathie, il les élimine pour mieux annihiler sa propre humanité. Reste une femme, sa femme devant la loi la morale religieuse, devenue son épouse pour effacer le viol qu'il a commis. Il ne l'a jamais aimée mais, comble d'humiliation, celle-ci entretient une relation avec son propre père. Dans sa quête de possession ultime, cet affront réveille les pulsions infantiles et destructrices du tueur. Ne pouvant tuer celle-ci, toutes les autres femmes qui l'aimeront et le protégeront devront payer. Quant à son père, il entend bien salir son nom, sa piété et son honneur par le truchement de ses crimes abominables.
La vengeance est à moi est une glaçante peinture naturaliste de la société japonaise des années 1960 servie par une esthétique extrêmement travaillée. Un film qui pose les jalons d'une dislocation des liens sociaux et familiaux dans une société japonaise dont les mœurs restent enserrés dans la gangue d'une tradition patriarcale féroce et dont la violence faite aux femmes atteint un caractère systémique. Mais le mystère reste entier : Iweo est-il un monstre isolé ou seulement l'expression paroxystique de la monstruosité collective de société japonaise des années d'après-guerre ?