Je suis femme
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le 20 oct. 2017
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Elle est seule, surélevée, tous la regardent et la jugent. Ils sont juges, avocats, jurés, spectateurs, tous ont une idée déjà bien conçue de la femme qu'elle est.
C'est une garce, une salope, une fille facile, elle navigue entre les hommes comme un marin enchaîne les verres de rhum.
Lui, le pauvre, mort, assassiné par cette folle, l'avait pourtant aimé. Il lui donnait une stabilité, une dignité qu'elle n'a jamais eu, un cadre. Car oui, il faut la restreindre, l'enfermer pour qu'elle s'arrête, elle la meurtrière, coupable de vouloir vivre.
Et la justice, c'est la peine de mort, c'est ainsi qu'elle doit réparer sa faute. Tous le savent, et le souhaitent.
Elle est seule, et pourtant tant entourée, elle qui ne rêve que de vivre, de danser, de rigoler et de s'entourer de camarade de virées nocturnes. Elle n'aime pas se lever tôt, ce n'est pas pour elle, alors elle finit par devenir employée d'une boite de nuit. Elle peut enfin vivre comme elle le décide, et elle est libre, indépendante, s'enrichit et fait de nouvelles connaissances. En plus de ça, elle a du charme, il faut dire ce qui est, c'est une blonde sublime. Elle le sait, pour un sourire en s'amusant de ces messieurs, de leur plus grande faiblesse, elle peut gagner un peu plus grâce aux pourboires.
Mais elle perd tout, personne ne la comprend, elle n'est pas logique, elle est trop vivante alors que tous sont morts, tous. Ils n'ont pas de cœur, ce ne sont que des esprits ou des portes monnaies. Gilbert a fini par la perdre à force de l'enfermer, de vouloir la contrôler, celle qu'il aimait tant, et pourtant, il ne passe plus de temps avec elle. Alors elle se retrouve seule, inexorablement seule. Elle l'abandonne, et pourtant, elle l'aime plus que tout. Lui qui l'aura aimé comme jamais, et aura fini par l'oublier. La flamme s'est éteinte.
Son désir d'amour, de liberté et de vie ont un prix, le regard des autres, tous la jugent et la dévalorisent. Elle n'est pas comme eux, elle est différente. Elle est le porte étendard de cette jeunesse qui se lève quand elle veut, travaille où cela lui chante, et surtout désireuse de conquêtes. De conquêtes sur la vie. Un fossé s'est créé entre cette jeunesse et la génération qui la précède, ils ne rêvent pas des mêmes choses, ne pratiquent plus la même langue, et ne peuvent donc plus se comprendre. Alors quand on ne comprend pas, on juge hâtivement, non sur des faits mais sur une prétendue morale.
Et la justice dans tout ça, doit jouer l'arbitre, venir interpréter des actes pour mieux y coller une peine déjà toute décidée. Mais cette elle ne fait pas le poids face à la justice du cœur de Dominique. Elle a tout perdu, elle n'attendra pas que d'autres prennent une décision à sa place. D'ailleurs elle n'a plus de place puisqu'elle n'a plus rien. Autant disparaître alors. Mourir avant que l'on nous l'ordonne, ce sera sa dernière forme de liberté. Du début à la fin, elle aura été fidèle à elle même, malgré les erreurs et les peines. Une femme libre, qui vit pour elle, et ne doit rien à personne.
Henri Georges-Clouzot livre en 1960 un de ses films les plus noirs, sombre au point d'en faire pâlir un certain suédois, lui aussi amateur du genre.
Pourtant, durant 2h00 on aura pu rire, pleurer, voir les personnages danser, s'aimer.
La vie semble faite de fatalités pour cette jeunesse que personne ne veut entendre ou comprendre. Ils ne se retrouvent pas. C'est aussi pourtant le cas de Dominique et de Gilbert qui se seront aimé, qui auront brûlé la flemme du désir à ne plus savoir qu'en faire, mais à un instant T différent. Ils ne se sont pas compris, ni dans l'amour, ni dans la peine. L'amour, c'est cette chose qu'on ne maîtrise pas, qu'on ne contrôle pas, et qui pourtant, est encore cause de bien des folies. On essaie de rationaliser tout ça mais rien n'y fait. Le cœur a ses raisons que la raison ignore.
La Vérité prend son temps pour nous offrir toute la densité de son récit et de ses personnages, tous plus humains les un que les autres. Ce sont des tranches de vie qui nous sont contées, le début d'une nouvelle ère qui émerge difficilement dans la souffrance, et finira finalement peut être par se faire entendre quelques années plus tard, avec mai 68. En plus de cette révolte, Clouzot annonce un changement dans la société, encore très actuel de nos jours : il va falloir faire avec les Femmes. Ces femmes qui ne se retrouvent ni dans le mariage, ni dans l'image de la ménagère. La femme à venir sera un être libre, quoi qu'il en coûte. Même la mort.
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Créée
le 20 févr. 2023
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