Mamie, tu radotes
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Chaque fois d’un grand réalisateur s’expatrie, le même doute saisit ceux qui l’aiment et suivent son œuvre ? Le talent, voire le génie, n’est-il pas soluble dans l’exil ? Le cinéma étant avant tout un Art de l’humain, les spécificités culturelles d’une région du monde, d’un pays ne constituent-elles pas au final l’élément essentiel de l’inspiration d’un auteur ? Ou, pire encore, et c’est là le doute le plus affreux, n’aimons-nous pas souvent une œuvre surtout de par ce qu’elle a de dépaysant, de par le « voyage » qu’elle nous offre ? (Bon, ce genre de question ne se pose que de manière très limitée dans le cas des blockbusters, qui travaillent le plus petit commun dénominateur de la population globale, et souhaitent par définition être « imperméables » aux différences culturelles les plus riches…). Bref, tout cela pour dire que la décision de Kore-eda, probablement le réalisateur japonais le plus important de sa génération de par la manière dont il prolonge, modernise, voire « démocratise » le travail de Ozu, de réaliser un film français, parlé en français alors qu’il ne comprend pas la langue, avait quelque chose de vaguement effrayant pour nous. D’un côté, on pouvait espérer un film iconoclaste se nourrissant des codes du cinéma hexagonal (comme Verhoeven le réussit magnifiquement avec "Elle"), d’un autre on avait le droit de craindre la perte de sens d’un Art tellement japonais, incompatible avec ce nouveau milieu ambiant (on a bien vite oublié le pauvre film américain de Wong Kar-Wai, "My Blueberry Nights")…
… et face à cette "Vérité", film d’excellente facture, qui plus est régulièrement bouleversant, nous nous retrouvons, ce qui n’est pas si mal, dans une position intermédiaire : un film qui est loin de rejoindre les grandes réussites de Kore-eda, mais qui présente néanmoins des qualités essentielles le distinguant du tout-venant, la première étant l’interprétation magique de Catherine Deneuve et de Juliette Binoche, qu’on a pas vues, ni l’une ni l’autre, aussi lumineuses et convaincantes depuis très, très longtemps. Une interprétation dont on a quand même envie d’attribuer le mérite à Kore-eda, excellent directeur d’acteurs, et qui sait depuis toujours créer d’intenses émotions à partir du visage, des expressions, des mots de ses acteurs : bref, même sans comprendre la langue de ses interprètes, le génie de la direction d’acteurs, ça marche ! Il est certain quand même que Kore-eda ayant écrit le sujet du film (le cinéma – ou l’Art – et ce qu’on y met, mais aussi ce qu’on doit lui sacrifier, soit un sujet diablement universel), il avait plus que probablement une idée très claire de ce qu’il voulait obtenir de Binoche et Deneuve, et il y arrive !
Commençant comme une satire à la réjouissante cruauté d’un petit monde vaniteux, intellectuellement et moralement malhonnête (ce qui permet à Deneuve d’exercer une verve destructrice qui fait réellement plaisir à voir…), "la Vérité" se mue dans sa dernière partie en réflexion littéralement bouleversante sur la transmission, qu’elle soit familiale, amicale ou professionnelle… offrant ainsi à tous les personnages la possibilité de « sortir par le haut » du film, et traduisant une noblesse d’âme, un humanisme, qui sont à 100% « du pur Kore-eda ».
On remarquera bien entendu un certain de nombre de plans, habituels au cinéaste, d’arbres et de feuilles colorées par l’automne, mais ces effets de signature « japonais » ne vont guère au-delà du stéréotype universel sans doute un peu rassurant, et ne participent cette fois que peu à la magie du film.
Il nous restera donc à remercier Kore-eda d’avoir su offrir un nouveau « grand rôle » à l’icone absolue du cinéma que reste la grande Catherine : ne serait-ce que pour cela, son voyage à Paris n’aura pas été vain.
[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/01/01/la-verite-le-voyage-a-paris-de-kore-eda/
Créée
le 1 janv. 2020
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