Une devinette pour commencer : de qui peut bien être un roman où l'atmosphère poisseuse est pleine de haines ressassées entre les membres d'une famille, où il y a une sensualité à fleur de peau sous-jacente, où l'action se passe à proximité d'un canal avec pas vraiment une écluse mais plutôt un pont bascule et le tout dans les années d'avant-guerre ? Georges Simenon ? Bingo, c'est lui, ça ne peut être que lui…

C'est Pierre Granier-Deferre qui adapte ce roman au cinéma. N'ayant pas lu le roman, je ne sais pas si le contexte politique des années 34-35 avec l'antisémitisme larvé, les croix-de-feu prêts à toutes les ignominies, est inclus dans le roman. Probablement pas car Simenon montre en général une certaine neutralité politique dans ses romans.

L'histoire est simple : un jeune homme échappé du bagne de Cayenne se loue comme valet de ferme chez une veuve, la veuve Couderc, au fin fond d'une campagne. Mais cette veuve est en lutte avec sa belle-famille qui ne l'a jamais acceptée et qui veut la virer et récupérer sa maison.

Là où ça se complique un peu, c'est que la veuve tombe amoureuse du valet.

Au-delà de l'histoire de mœurs, Pierre Granier-Deferre met en scène en 1971 deux stars du moment, Alain Delon, dans le rôle du valet de ferme et Simone Signoret dans un inoubliable rôle de la veuve Couderc.

Simone Signoret nous fait un numéro de paysanne vieillissante, véritable femme de tête, seule contre toute sa belle-famille. Tout est parfait et bien joué jusqu'à sa démarche où les pieds semblent chercher la stabilité avant d'avancer. C'est une femme forte, prompte à sortir les griffes mais qui se découvre un cœur qu'elle avait oublié. Et la paysanne se transformerait presqu'en midinette si on la laissait faire ! Son personnage est finalement assez complexe entre la paysanne en guerre avec son voisinage et la femme amoureuse et jalouse quand elle découvre que son jeune amant s'est amourachée d'une jolie mère célibataire qui traine dans le coin. C'est une actrice qui a toujours une présence indéniable et évidente sur scène. Dans ce film, elle parle peu. Tout se passe dans les gestes (quand elle pèle une pomme de terre, quand elle sème le grain à ses poules) et surtout son regard magnétique et bleu qui ne cache rien ni de sa détresse, ni de sa haine ni de son amour.

Delon, le bel éphèbe, n'est clairement pas dans son milieu. On sent la bonne éducation, on devine l'intellectuel aux mains blanches qui a jeté aux orties tout son passé et s'est fait embaucher comme valet de ferme. Il n'est pas dans son milieu mais il est dans son élément en jeune coq de basse-cour parachuté dans cette ferme où il résout divers petits problèmes techniques et où il se rend indispensable. Il n'est pas dans son milieu et justement, c'est ce qui attire la veuve et la jeune femme dans un étrange ménage à trois. Il est excellent dans ce film.

La jeune mère célibataire, sensuelle et chaude comme la braise, c'est Ottavia Piccolo ; parmi les autres second-rôles on note Jean Tissier dans le rôle du beau-père à moitié gâteux et surtout Monique Chaumette dans le rôle de l'ignominieuse et avide belle-sœur.

Au final, le film est un beau drame rural, taiseux et sombre. La mise en scène de Pierre Granier-Deferre est là pour lever un coin de voile sur cette belle campagne où, à part le travail routinier et harassant de la ferme en été, il semble ne rien se passer …

Un grand film.

Spoiler : Et puis, complètement en marge du film, ces "croix de feu" à la curée, le slogan antisémite sur le mur de l'église, un peu pour le fun, un peu pour l'ambiance. Rien d'étonnant au comportement vomitif de la belle-sœur.


JeanG55
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le 5 avr. 2023

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