La Vie d'un honnête homme a beau se situer plutôt vers la fin de la carrière de Sacha Guitry, il semble beaucoup moins bien peaufiné que d'autres films sorti une vingtaine d'années auparavant comme Le Roman d'un tricheur ou Bonne chance !. Il n'assène pas non plus son immoralité avec la même verve et la même gouaille que La Poison dans lequel Michel Simon, déjà, formait la pierre angulaire d'un récit bien corsé. Pourtant, en dépit de ses quelques maladresses et de ses nombreuses imperfections, cela reste une comédie noire vraiment recommandable sur le thème de la satire dirigée contre la bourgeoisie.
À l'intérieur du style "à la Guitry" facilement reconnaissable dans sa façon très théâtrale de se mettre en scène (il nous présente lui-même les acteurs et actrices, il écrit lui-même le mot "fin" dans le livre-scénario), les maladresses sont en grande partie liées à l'effet du temps qui n'a pas été tendre avec certains dispositifs. Dans ce film, Michel Simon interprète deux personnages différents, deux frères jumeaux représentant chacun un archétype opposé à l'autre, d'un côté un riche patron malheureux, de l'autre un homme davantage jouisseur et voyageur mais sans le sou. Une bonne partie de l'action consiste ainsi à filmer selon une série de champs / contre-champs très monotone l'acteur dans les deux rôles qui se répond à lui-même. Le procédé est vraiment pénible à contempler un demi-siècle plus tard, et ce d'autant plus qu'une interminable séquence à la fin de l'introduction est entièrement constituée d'un dialogue peu engageant entre les deux pendant 10 loooooongues minutes — elles paraissent interminables. De même, le final referme l'histoire de manière extrêmement abrupte, une queue de poisson un peu facile et vraiment trop rapide, voire carrément bâclée.
Mais bon, tout ceci est à mettre en regard du cœur du film, à savoir le remplacement d'un homme par son jumeau, profitant d'une occasion macabre pour se sortir de sa vie trop rangée et aigre de petit bourgeois triste. Et il faut quand même reconnaître à Guitry cet élan particulièrement sarcastique, sans doute en grande partie auto-critique, pour relever l'étendue de la vanité de cette existence et de la vacuité de ce quotidien. Ainsi le film oscille entre plusieurs régimes de sordide, parfois franchement cru, parfois un peu plus léger et comique, mais dans tous les cas de figures attachés à railler l'hypocrisie grotesque de ce milieu révélé de l'intérieur, par un cheval de Troie qu'on ne voit pas vraiment venir. Il faut avouer qu'initialement, quand on voit la situation s'installer, on pense d'abord à une sorte de récit d'apprentissage à la Capra, dans lequel le "mauvais" jumeau deviendra bon et aimant au contact de son frère... Mais pas du tout : le venin de Guitry est beaucoup plus acide. Les oppositions pourront paraître un peu désuètes, un peu opportunistes, mais il y a une forme de sincérité jusqu'au-boutiste difficilement contestable. Et puis il y a un nu féminin soudain, très étonnant pour l'époque, ainsi qu'un assez jeune Louis de Funès avec des cheveux.
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